La nouvelle loi 101 déposée mardi par Pierre Curzi contient plusieurs mesures qui, lorsqu'elles ne tombent pas sous le sens, méritent au moins débat pour qui se préoccupe de l'avenir du français au Québec.

Le député de Borduas propose par exemple que, dans les cégeps et les universités francophones, l'enseignement de la matière se fasse uniquement en français (sauf pour les cours de langues, évidemment). Ça devrait aller de soi. Et pourtant, on l'a vu encore récemment avec l'École des hautes études commerciales qui trouve tout à fait normal d'offrir un programme de maîtrise uniquement en anglais, ça ne va pas toujours de soi. On trouve normal que dans une institution francophone comme HEC Montréal, symbole d'une affirmation identitaire québécoise, le français soit ici réduit au statut de langue de cafétéria afin d'attirer des étudiants étrangers. Il y a dans cette «normalité» quelque chose d'inquiétant qui ressemble à un reniement de soi.

La loi 101 de Pierre Curzi interdirait aussi les écoles passerelles. C'est une autre mesure qui tombe sous le sens. Les écoles «passerelles» créent injustement deux classes de citoyens: ceux qui peuvent s'acheter des droits linguistiques pour envoyer leurs enfants à l'école publique anglaise et les autres. Avec la loi 103, les libéraux prétendent que cette injustice est éliminée parce qu'il n'y a plus d'automatisme (trois ans à l'école privée ne garantissent pas à 100% l'accès à l'école anglaise). Les dossiers sont désormais étudiés au cas par cas, selon des critères vaseux. Cette confusion ne change rien au fait qu'il y a là un marchandage de droits qui constitue une violation d'un principe fondamental de la Charte de la langue française.

Pierre Curzi propose par ailleurs d'étendre la loi 101 au collégial, une mesure qui semble plus difficile à justifier dans un contexte où une proportion de plus en plus importante d'allophones fréquentent le cégep français. En 2001, la commission Larose, qui s'était penchée sur l'avenir de la langue, avait qualifié la mesure de «draconienne» et plaidé pour le libre choix. On soulignait alors avec raison que le débat est mal engagé lorsqu'il fait reposer le sort du français au Québec sur l'attitude d'une minorité de cégépiens, enfants d'immigrés pour la plupart.

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L'an dernier, le Conseil de la langue française a publié un avis qui allait dans le même sens. Alors qu'en 1998, 44% des allophones nouvellement inscrits au cégep fréquentaient des collèges francophones, la proportion a atteint 64% en 2009. Il n'y a pas de ruée d'allophones vers les cégeps anglophones. On voit plutôt un nombre croissant de fils et filles d'immigrés choisir le collégial français, sans que personne ne les force à le faire. Dans un tel contexte, modifier la loi pour les obliger à le faire envoie un drôle de message. Comme si on disait à ces enfants d'immigrés que, peu importe ce qu'ils font, ce ne sera jamais assez, ils seront toujours considérés comme une menace.

C'est peut-être là où l'on glisse le plus souvent dans ce débat, cherchant à tout prix à mettre un visage sur une menace, à faire porter à «l'Autre», qu'il soit anglophone ou allophone, le fardeau de la survie de la langue. Certains s'inquiètent par exemple des réponses données par des jeunes anglophones à un sondage publié dans L'actualité. Ces Anglos ne connaissent pas (ou peu) Marie-Mai ou Julie Snyder, ô scandale... La plupart ne sont pas prêts à affirmer, selon la formule suggérée par le sondeur, que Montréal doit son originalité et son âme à la position prédominante du français. Un manque de solidarité? Pour en juger, j'aurais tendance à accorder plus d'importance aux choix de vie de ces Anglos plutôt qu'à un sondage. Les anglophones ne vivent pas dans une bulle. Ils parlent de plus en plus français. Ils partagent de plus en plus souvent leur vie avec un francophone (un couple sur deux). On comprendra que si on vient leur dire en plus que ce n'est pas suffisant et qu'ils doivent aussi accepter d'avoir peur d'eux-mêmes, c'est un peu paradoxal.

Tout cela mérite débat. À condition bien sûr que le débat ne devienne pas un procès.