Après les éducatrices en grève, c'est au tour des milliers d'étudiants protestant contre la hausse des droits de scolarité de se faire traiter d'enfants gâtés. De quoi se plaignent-ils donc? demande-t-on. Le Québec n'est-il pas la province canadienne où les droits de scolarité sont les moins élevés? Les étudiants québécois ne se rendent-ils pas compte que, même avec la hausse prévue, leurs droits de scolarité resteront inférieurs à la moyenne canadienne?

Il est vrai que les étudiants québécois sont, de tous les Canadiens, ceux dont les droits de scolarité sont les moins élevés. Mais loin d'être une tare, cette différence m'apparaît comme le reflet de valeurs progressistes pour lesquelles les étudiants ont raison de descendre dans la rue. Car avant de se battre contre une hausse de 1625$ sur cinq ans, les étudiants se battent pour un principe et non le moindre: le droit à l'éducation. Une prérogative qui est aussi un choix de société, au même titre que l'universalité des soins de santé.

La qualité de l'enseignement a un prix, soit. Mais si on considère que l'éducation est réellement un droit et non un luxe, si on croit à l'égalité des chances, il est injuste de refiler la facture à des étudiants endettés qui peinent de plus en plus à joindre les deux bouts. Il est injuste de hausser les droits de scolarité de 75%.

Qui écopera? D'abord, les étudiants issus de la classe moyenne. Considérés trop riches pour avoir accès aux prêts, ils crouleront davantage sous les dettes ou décrocheront. Écoperont aussi les jeunes de milieux défavorisés qui tendent à surestimer les coûts et à sous-estimer les bénéfices des études universitaires. Résultat: une population étudiante qui pourrait être de moins en moins diversifiée, où les jeunes qui ne viennent pas de milieux aisés peineraient à se tailler une place. À long terme, c'est toute la société qui se priverait de leur contribution.

Pour s'en convaincre, on peut comparer le profil des étudiants en médecine québécois à ceux des autres provinces canadiennes. Au Québec, les facultés de médecine comptent plus d'étudiants provenant de familles modestes que dans le reste du Canada, soulignait une étude publiée en 2010 dans la revue spécialisée Medical Education. Selon les chercheurs, cela s'explique en bonne partie par les droits de scolarité plus bas.

Fait intéressant, l'enjeu n'en est pas seulement un d'égalité des chances pour les étudiants, mais aussi d'accès aux soins pour toute la population. Car les étudiants en médecine de quartiers ou de régions rurales peu favorisés sont plus portés à aller y pratiquer, nous disait cette même étude. Cela montre bien qu'une hausse des droits de scolarité peut avoir des répercussions sur l'ensemble de la société. Des répercussions que l'on aurait tort de sous-estimer.

Au Québec, les acquis en matière d'accès aux études supérieures restent fragiles. On sait que le goût d'étudier est grandement influencé par la scolarisation des parents. On peut se réjouir du fait que, malgré tout, plus de 40% des étudiants sont des étudiants dits «de première génération», dont les parents n'ont jamais mis les pieds à l'université. Même si le gouvernement promet d'ajuster l'aide financière, il est illusoire de croire qu'une hausse des droits ne les affectera pas.

Les études sont un «investissement rentable», martèlent les partisans de la hausse, qui demandent que les étudiants fassent leur part aujourd'hui comme ils auront de meilleurs salaires demain. On oublie dans l'équation que les diplômés qui auront la chance d'avoir de bons salaires feront leur part de toute façon en payant davantage d'impôts.

Au-delà des calculs comptables, la question de fond en est une de principe. L'éducation ne devrait pas être un luxe ou un produit de consommation comme un autre à payer en mille versements inégaux. Ce devrait être un droit qui permet à la société d'aspirer à un bien commun.