«Notre victoire était écrite dans le Coran», a déclaré un leader salafiste à la suite de la percée-surprise des siens au premier tour des élections égyptiennes.

Si c'était écrit, il semble que presque personne ne l'a lu. En neuf jours de reportage au Caire, je n'ai rencontré personne qui prédisait une percée salafiste aussi importante - près de 25% des votes au premier tour.

La plupart des Égyptiens se doutaient bien que les Frères musulmans, la force politique la mieux organisée au pays, allaient occuper une place prédominante dans le futur Parlement - ils ont déjà obtenu près de 40% des votes au premier tour. Plusieurs s'attendaient à un bras de fer entre les forces libérales et le parti Justice et Liberté, la branche politique de la confrérie. Mais que des extrémistes religieux qui n'ont aucune expérience politique obtiennent d'aussi bons scores et deviennent les principaux adversaires des Frères musulmans au deuxième tour qui commençait hier, c'était beaucoup moins prévisible.

Place Tahrir, les salafistes étaient plutôt discrets dans les jours qui ont précédé le début du processus électoral. Leur présence détonnait dans la foule militante. Peu nombreux, mais bien présents malgré tout.

Comment des révolutionnaires qui rêvent d'un État libre, laïc et démocratique pouvaient-ils unir leurs voix à celles de fondamentalistes aux visées diamétralement opposées? Comment un révolutionnaire se sent-il quand il voit que les islamistes sont les grands gagnants de «sa» révolution? «Si les élections sont équitables, je n'ai aucun problème avec ça. Mais à partir du moment où on mobilise les gens en utilisant la religion, c'est déjà inéquitable», m'a dit Mosab Shahrour, jeune militant du Mouvement du 6 avril, qui a joué un rôle déterminant dans le soulèvement égyptien.

À quelques pas de là, assis sur son tapis de prière, j'ai rencontré un imam salafiste heureux de pouvoir donner une entrevue à une journaliste étrangère. Foulard palestinien sur la tête, une canne de berger dans une main, un téléphone portable dans l'autre, il a tenu à m'expliquer en détail sa vision de l'islam. «Sous Moubarak, j'ai passé 14 ans en prison. Je n'avais pas le droit d'être un imam, je n'avais pas le droit de parler aux gens de mes croyances.»

Après 14 ans de silence forcé, son discours était tout de même édulcoré, fait sur mesure pour rassurer ceux qui se méfient des islamistes. Selon lui, un pays dominé par les salafistes serait la meilleure chose qui puisse arriver à tous les Égyptiens, y compris les femmes et les minorités... «Les chrétiens sont nos frères. Et les femmes participeront à la vie politique et auront tous les droits.»

Dans les faits, au-delà des discours de façade rassembleurs, les salafistes sont partisans d'un islam rigoriste qui ne laisse présager rien de bon pour les partisans de la laïcité et de la liberté. Le parti salafiste le plus important, Al-Nour, qui veut dire «la lumière», évoque l'obscurantisme pour bien des Égyptiens.

Durant la campagne électorale, les salafistes ont fait l'objet d'une controverse pour avoir remplacé les photos de leurs candidates sur leurs dépliants par des photos de roses. Ils ont aussi demandé aux femmes de s'abstenir de parler aux hommes au Parlement. Une image qui ne rime pas tout à fait avec l'idée que l'on se fait d'une pleine participation des femmes à la vie politique.

Les salafistes ne croient pas que l'Égypte ait besoin d'une démocratie à l'occidentale. Ils croient que la «loi de Dieu» prime sur tout le reste. Un candidat salafiste a déclaré que le prix Nobel de littérature Naguib Mahfouz faisait la promotion de la «prostitution et de l'athéisme» et que la démocratie était un «blasphème». Sa déclaration a suscité une levée de boucliers chez les intellectuels égyptiens.

Pourquoi voter pour les salafistes? «Parce qu'ils nourrissent les pauvres», m'a dit un jeune homme rencontré sur la place Tahrir. Dans un pays où 60% des ménages gagnent moins de 10$ par jour, ce n'est pas un détail.

Contrairement aux Frères musulmans qui se sont attiré les foudres des manifestants de la place Tahrir en refusant de critiquer le pouvoir militaire après les violences de la semaine dernière, les salafistes se sont montrés solidaires. «Ils sont incompréhensibles», m'a dit une jeune révolutionnaire qui ne savait plus quoi penser à leur sujet.

Quel poids auront les salafistes dans le futur Parlement égyptien? Comment leur succès amènera-t-il les Frères musulmans, dits plus modérés, à se repositionner? C'est sans doute déjà écrit dans le Coran, diront les salafistes. Mais tout dépend de l'interprétation que l'on en fera.