Est-il normal que des locataires habitent encore dans un immeuble humide tapissé de moisissures que la Direction de la santé publique a classé «impropre à l'habitation» il y a plus de trois mois?

Petit résumé de cette histoire de champignons qui en cache d'autres. Un médecin reçoit une mère de famille dans son cabinet. Elle a des ennuis de santé. Elle habite dans le quartier Côte-des-Neiges. Au 3400, avenue Linton, plus précisément. Le médecin soupçonne que son logement pourrait être à l'origine de ses problèmes. Et comme de nombreuses familles avec de jeunes enfants habitent l'immeuble, le médecin s'inquiète. Il fait un signalement à la Direction de la santé publique (DSP). Les responsables de l'arrondissement de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce sont interpellés. Ils sont présents lorsque la DSP envoie un hygiéniste faire une évaluation environnementale de l'immeuble le 21 octobre 2010.

Le rapport de la DSP, que La Presse a obtenu, est clair. Sérieux problèmes de salubrité. Humidité excessive. Moisissures. Forte odeur de composés organiques volatils dans l'entrée. Risques pour la santé des occupants. Plusieurs locataires se plaignent déjà de problèmes respiratoires. Bref, pour toutes ces raisons et bien d'autres encore, l'immeuble est jugé «impropre à l'habitation».

Impropre à l'habitation. C'est donc ce qu'a dit la Direction de la santé publique dans le rapport qu'elle a remis à la Ville de Montréal le 27 octobre. Plus de trois mois plus tard, les locataires sont toujours là. L'humidité et les moisissures aussi. Et même si quelques réparations ont été faites, quelques ampoules ont été changées et que des coups de pinceau ont permis de cacher les traces apparentes de moisissures, les risques pour la santé sont toujours là, en particulier pour les enfants: problèmes respiratoires, risque de souffrir d'asthme chronique, aggravation de l'asthme, rhinites, plus grande sensibilité aux infections...

Qu'en dit Michael Applebaum, maire de l'arrondissement de Côte-des-Neiges et responsable de l'habitation à la Ville de Montréal? Il n'en dit rien du tout. Lui qui se vantait récemment du très bon travail de Ville en matière de lutte contre l'insalubrité a refusé cette fois-ci de répondre à mes questions. Un silence qui en dit long. Car s'il est vrai que la Ville dispose de tous les outils pour sévir dans des cas comme celui-là, il est clair qu'elle manque de volonté.

Si l'immeuble est impropre à l'habitation, comment se fait-il que la Ville n'ait pas immédiatement ordonné au propriétaire de reloger ses locataires en attendant de faire la décontamination fongique? «Il n'y avait pas d'urgence à agir», me dit Michel Therrien, porte-parole de l'arrondissement. Comme s'il était finalement normal d'habiter un immeuble plus adapté aux champignons qu'aux enfants. De l'asthme chronique? Des problèmes respiratoires? Bof! Il n'y a rien là!

L'arrondissement a fait parvenir 56 avis de non-conformité au propriétaire, mais aucune amende n'a suivi. Pourquoi? Parce qu'il n'y a «pas d'urgence de sévir», selon l'arrondissement. Le propriétaire «collabore», dit-on.

J'ai appelé un des copropriétaires de l'immeuble, Mitchell Stupp, pour obtenir sa version et comprendre de quelle façon il «collabore». Selon lui, ses logements sont impeccables et aucun locataire ne s'est plaint. Il dit avoir fait réparer le toit. Il a lavé, il a repeint. Et, à la demande de l'arrondissement, il a obtenu une contre-expertise d'une firme dont il n'a pas voulu me donner le nom. La firme lui a dit ce qu'il voulait entendre: tout est parfait, monsieur. Malheureusement, il n'existe pas dans ce domaine de listes de firmes accréditées et réputées fiables.

Ainsi, au lieu de s'assurer que les travaux soient faits rapidement et dans les règles de l'art afin de réduire les risques pour la santé des occupants, l'arrondissement a laissé traîner les choses de façon tout à fait irresponsable et inquiétante. Il a fait parvenir la contre-expertise de M. Stupp à la DSP pour obtenir un deuxième avis, une sorte de «contre-contre-expertise». Verdict de la DSP, qui a mené une deuxième étude plus approfondie des moisissures dans l'air de l'immeuble: les conclusions du rapport de M. Stupp ne sont pas valables. «Notre position demeure la même, me dit Norman King, épidémiologiste à la DSP. Il y a dans l'immeuble d'importants problèmes de salubrité, surtout en lien avec des infiltrations d'eau de plusieurs sources.»

Bref, la DSP répète, preuves accablantes à l'appui, ce qu'elle avait déjà dit à l'automne. Et plus de trois mois plus tard, nous voilà de retour à la même case moisie. L'arrondissement laisse aller les choses. Car rassurez-vous, le propriétaire «collabore», dit-on. Mais depuis quand le fait de camoufler un problème pendant des mois est-il synonyme de collaboration? M'est avis que le moisi, dans cette histoire, n'est pas seulement là où on pense.