Commençons par quelques définitions. Honorable: qui mérite d'être honoré, estimé.

Terroriste: qui utilise le terrorisme comme moyen d'action.

Il y a les mots. Puis, il y a le contexte. Parfois les mots nous disent une chose, alors que le contexte hurle le contraire.

Le contexte, donc. Questionné par la députée bloquiste Carole Lavallée la semaine dernière à propos de son mépris pour les artistes et des compressions dans le domaine de la culture, l'honorable James Moore, ministre du Patrimoine, a cru bon ridiculiser l'Action terroriste socialement acceptable (ATSA) pour illustrer les «choix judicieux» faits par son gouvernement. «Nous faisons des choix importants, d'un bout à l'autre du pays, lorsqu'il s'agit de soutenir la culture. Je vais donner un exemple. Le Bloc québécois demande à notre ministère de verser une subvention de 75 000$ au groupe appelé Action terroriste socialement acceptable. Nous n'allons pas verser cette subvention. Nous allons plutôt consacrer cet argent au financement des célébrations du 150e anniversaire de Victoriaville, car nous faisons des choix judicieux pour les contribuables et la culture.»

L'honorable James Moore a prononcé le nom «Action terroriste socialement acceptable» comme s'il était malodorant. Le ton était méprisant. La manière, démagogique. On a vu les députés à ses côtés faire des «pfff» dédaigneux comme pour dire: «Comment peut-on appuyer la demande de subvention d'un groupe portant un nom pareil?» Le ministre a eu droit à une ovation. Une ovation de gens honorables, bien sûr, qui approuvaient le sceau d'infamie apposé injustement sur l'ATSA.

La table est mise pour vous révéler une primeur à propos de l'Action terroriste socialement acceptable: selon des sources bien informées, ces gens ne sont pas des terroristes. Vous l'aurez lu ici en premier. Ce sont des artistes rêveurs. Ils ne savent pas comment fabriquer des bombes. Ils sont contre la guerre et le terrorisme. Le campement qu'ils montent chaque année depuis 12 ans pour l'événement État d'urgence n'est pas un camp de recrutement d'Al-Qaïda. C'est plutôt un village éphémère où on tend la main aux sans-abri, à qui l'on donne des couvertures et de la bonne soupe. Un village qui rend la ville plus humaine.

Pourquoi alors y a-t-il le mot «terroriste» dans leur nom? C'est que ces gens sont de vilains artistes qui aiment déformer les mots, leur faire prendre d'autres sens. Pour dérouter, faire réfléchir, interpeller. «Avec notre nom, nous détournons la violence en un projet pacifique et solidaire», expliquent Annie Roy et Pierre Allard, cofondateurs «terroristes» de l'ATSA, dans une lettre envoyée lundi à l'honorable James Moore.

Dans cette lettre, l'ATSA sollicite une rencontre avec le ministre Moore pour dissiper les malentendus et expliquer sa démarche artistique. «Je me sens un peu comme Yann Martel», dit Annie Roy, en référence au recueil Mais que lit Stephen Harper? (Éditions XYZ, 2009), qui regroupe 60 lettres que l'auteur a adressées au premier ministre, lequel n'a presque jamais répondu.

Que le ministre Moore choisisse de financer les festivités du 150e anniversaire de Victoriaville, l'ATSA n'a rien contre, bien au contraire. Ce qui choque ici, c'est le mépris pour un organisme culturel qui a fait ses preuves. Tous ceux qui connaissent ces «terroristes» socialement acceptables en conviennent. Interpellé à ce sujet, le maire Gérald Tremblay a d'ailleurs vivement dénoncé la volte-face de Patrimoine Canada, estimant qu'il était injuste de couper les vivres à un organisme qui fait du si bon travail. Tout ça à cause d'un mot qui commence par t?

Officiellement, la décision de Patrimoine Canada n'est d'aucune façon liée à ce mot. Le nombre de demandes faites dans le cadre du programme de Développement des communautés par le biais des arts (DCAP) a tout simplement augmenté, explique-t-on. Il a fallu faire des choix. «La demande d'aide financière de l'ATSA a été étudiée en fonction des objectifs continus du gouvernement du Canada, qui sont de financer des projets conçus pour offrir des résultats mesurables et tangibles contribuant au mandat du programme DCAP d'optimiser les ressources et de répondre aux besoins des Canadiens», dit le Ministère.

Lorsque la députée Carole Lavallée a exigé en Chambre des excuses pour l'attaque gratuite envers l'ATSA, le ministre Moore a répété que le gouvernement «doit faire des choix». Mais il a pris un certain plaisir à répéter le nom de l'ATSA, l'opposant de façon insidieuse à celui d'organismes moins subversifs: «L'organisme appelé l'Action terroriste socialement acceptable ne va pas obtenir de financement cette année. Nous allons plutôt soutenir un organisme et un événement profamille, à l'occasion du 150e anniversaire de Victoriaville. Nous faisons les choix qui conviennent aux Canadiens.»

Tout est dans le «plutôt». Le «plutôt» qui pointe de façon démagogique vers un choix moral. D'un côté, les bonnes valeurs familiales «qui conviennent aux Canadiens». De l'autre, vous savez quoi... À vous de choisir, mesdames et messieurs.

Je pose donc encore une fois la question que j'ai lancée la semaine dernière: le mot «terroriste» glissé dans le nom de l'Action terroriste socialement acceptable a-t-il quelque chose à voir avec la décision de Patrimoine Canada de couper les vivres à État d'urgence? J'ai posé la question après qu'un fonctionnaire eut évoqué cette hypothèse.

Avec ses propos méprisants, l'honorable James Moore laisse finalement entendre que oui. Au cabinet du ministre, on plaide que non. «Le nom n'a rien à voir avec la décision», me dit Jean-Luc Benoît, directeur des communications du ministre.

J'en reviens à mes définitions. Honorable: qui mérite d'être honoré, estimé. Terroriste: qui utilise le terrorisme comme moyen d'action.

Il y a les mots. Et puis il y a le contexte, le ton, la manière. Parfois, les mots nous disent une chose, alors que le contexte hurle le contraire. On peut appeler cela de l'ironie. Ou de la petite politique.