«Les amis sont plus importants que l'argent», m'avertit un sac réutilisable d'une société de vêtements de yoga vendus à fort prix. Le sac m'ordonne aussi de boire de l'eau, de prendre des vitamines, de danser, de chanter, de passer ma soie dentaire, d'observer les plantes avant et après les avoir arrosées et de ne pas utiliser de produits chimiques sur le comptoir de ma cuisine.

Je n'invente rien. Tous ces conseils me sont prodigués par un seul et même sac de polypropylène. De quoi je me mêle? Et dis-moi, sac, comment dois-je élever mes enfants? Pour qui dois-je voter?

Quand une entreprise me lance une avalanche de clichés de pensée gourou sur l'argent qui ne fait pas le bonheur (sauf quand on en a) après m'avoir vendu un chandail à 128$ fait en Chine, j'ai cette vague impression que quelqu'un, quelque part, se fout de ma gueule.

La pensée gourou a remplacé la sagesse populaire, a constaté ma collègue Sylvie St-Jacques dans un reportage mettant en lumière les nombreux paradoxes de ce phénomène qui se décline de mille façons. Un jour, une gourou nous dit: «Mange, prie, aime» et vend des millions de livres proclamant cette bonne nouvelle. Le lendemain, la même gourou est accusée de manipulation, d'inconduite financière et d'intimidation. Un trop-plein de prières et d'amour, sans doute.

Les gourous contemporains n'ont peut-être plus le même visage qu'autrefois, mais ils n'ont pas réinventé la roue. L'engouement pour les préceptes insipides de croissance personnelle et les recettes de bonheur en sept étapes faciles n'a rien de nouveau. Que des génies du marketing s'en mettent plein les poches en déclinant la même bonne idée de mille façons devant des clients consentants qui en redemandent, c'est la loi du marché. Que des gens trouvent un certain réconfort dans une pensée gourou qui donne à croire que l'authenticité et le bien-être se vendent au rayon «croissance personnelle» de la librairie, grand bien leur fasse.

Là où une certaine pensée gourou devient plus inquiétante, à mon sens, c'est quand elle contamine les institutions publiques. Je pense entre autres à la tragicomédie qui a affligé la Ville de Québec cette année. Le maire Régis Labeaume, rappelez-vous, avait fait appel au gourou aux lunettes fumées Clotaire Rapaille pour rajeunir l'image de Québec. La Vieille Capitale n'est pas plus jeune depuis, mais elle nous a fait bien rire.

Pour un contrat de 300 000$ accordé sans appel d'offres, Clotaire Rapaille promettait de trouver l'essence de Québec. Mais il a été mis à la porte de l'hôtel de ville bien avant, après qu'on eut découvert qu'il n'avait pas juste l'air d'un imposteur. C'en était un, un vrai, qui avait rempli son CV de demi-vérités et racontait n'importe quoi. Il n'était pas un expert en marketing des villes. Il était avant tout un expert en fumisterie.

Montréal peut bien rire, mais il faut rappeler qu'il a aussi flirté avec la pensée gourou, en se laissant séduire par le gourou urbain Richard Florida il y a quelques années. Pour 200 000$US, à l'invitation de Culture Montréal, ce professeur d'économie transformé en entrepreneur charismatique s'était penché sur le cas de notre ville. À l'époque, Florida prétendait pouvoir expliquer aux villes comment elles pouvaient attirer de jeunes professionnels de la «classe créative» pour assurer leur essor. Il avait mesuré «l'indice de créativité» de Montréal et en avait conclu que cette ville était un des secrets les mieux gardés en Amérique du Nord.

Le hic, c'est que partout où il passait, Florida distribuait les mêmes compliments à fort prix. Il faisait croire à chaque ville qui le payait qu'elle était la plus belle. L'ironie, c'est qu'aujourd'hui, il ne semble plus croire lui-même à sa propre théorie sur la «classe créative». Mais il n'offre malheureusement aucun remboursement aux villes qui ont bu sa pensée gourou.

Ce qui me fait penser à ces mots de La Fontaine que vous ne trouverez sur aucun sac réutilisable: «Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute.» À méditer, avant que la pensée gourou ne remplace toute véritable pensée.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca