Dans les mois qui ont précédé l'émeute du mois d'août 2008 à Montréal-Nord, les contrôles d'identité de Noirs dans le quartier ont atteint des sommets difficilement justifiables. C'est là le constat troublant d'un rapport du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) déposé en preuve lundi à l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva.

Le fait que la hausse fulgurante des contrôles d'identité ait eu lieu au moment même où le groupe Éclipse, généreusement financé par le fédéral dans le but de lutter contre les gangs de rue, a commencé à patrouiller à Montréal-Nord n'est pas innocent. Et si la loi et l'ordre du gouvernement Harper étaient en partie responsables du grand désordre observé à Montréal-Nord?

Petit rappel des faits: le SPVM a mis sur pied l'escouade Éclipse au printemps 2008, après avoir reçu du gouvernement conservateur une subvention de 37 millions en cinq ans pour lutter contre les gangs de rue. Éclipse a ainsi été conçue pour épouser parfaitement le mandat dicté par l'ex-ministre de la Sécurité publique Stockwell Day. Un mandat, il faut le dire porté par une politique répressive tape-à-l'oeil et un discours démagogue qui jouait sur les peurs de la population. «Le gouvernement du Canada ne restera pas immobile et n'acceptera pas que la population vive dans la peur», aimait à dire Stockwell Day, qui avait fait de la lutte contre les gangs de rue sa priorité.

Dans un document interne daté d'avril 2008 que j'ai obtenu, le SPVM indique clairement comment il entendait se conformer aux exigences des conservateurs: «L'utilisation du fonds doit supporter (sic) l'objectif du gouvernement fédéral d'augmenter le nombre de policiers de première ligne. Le projet développé devra donc augmenter de façon significative notre effectif sur la route», dit le document, intitulé Intensification de nos efforts en matière de lutte à la criminalité suite à l'octroi de fonds par les gouvernements.

En août 2008, Stockwell Day a confirmé de son côté que la mise en oeuvre de sa stratégie dite «de sécurité» reposait en grande partie sur «l'augmentation du nombre d'agents de police dans nos rues».

Les fonds du gouvernement fédéral, on l'aura compris, n'ont pas servi à soutenir les enquêteurs qui auraient sans doute été les mieux placés pour lutter efficacement contre les gangs de rue. L'objectif n'était pas là. Les fonds ont plutôt servi, aux «expéditions de pêche» (1). Ils ont servi, conformément au délire sécuritaire du gouvernement conservateur, à envoyer des policiers dits «de première ligne» dans les quartiers chauds pour donner une impression de sécurité.

Comment arrive-t-on à donner cette impression? En misant sur ce qui paraît plutôt que sur ce qui compte. En rendant les policiers bien visibles et en augmentant les contrôles d'identité injustifiés. Avec les conséquences que l'on sait.

Le déploiement de l'escouade Éclipse en 2008 n'explique pas tout puisque, entre 2001 et 2007, on avait déjà noté une augmentation de 127% des contrôles d'identité de Noirs. Mais il a accentué le problème à Montréal-Nord: le nombre d'interpellations a augmenté de 50% entre 2007 et 2008.

La stratégie s'est révélée d'une inefficacité sidérante. Les deux tiers des interpellations de Noirs dans Montréal-Nord reposent sur des motifs que l'on peut qualifier de «faibles», nous dit le rapport complémentaire du criminologue Mathieu Charest présenté lundi à l'enquête Villanueva. Ces interpellations «ouvrent la voie aux perceptions de profilage ethnique et au mécontentement». Quand la vaste majorité des interpellations concernent des gens qui ont peu à voir avec le milieu criminel que l'on se propose de combattre, il y a lieu de se poser de sérieuses questions, souligne-t-il.

En plus d'être inefficace, la stratégie de répression bébête dictée par le gouvernement Harper (et appliquée sans aucun discernement à Montréal-Nord) ne fait qu'attiser les tensions entre citoyens et policiers. Elle crée les conditions propices au déclenchement d'une émeute.

En 2009, les gangs de rue étaient responsables de 1,6% des crimes commis à Montréal. Pourtant, le SPVM, entonnant joyeusement l'hymne sécuritaire conservateur, a continué de placer la lutte contre les gangs de rue au sommet de la liste de ses priorités, nourrissant ainsi la peur qu'il disait vouloir combattre. Pourquoi?

On peut se réjouir du fait que le nouveau chef de police, Marc Parent, ait clairement annoncé un changement de cap pour l'escouade Éclipse en lui confiant un mandat d'enquête plus précis. Malheureusement, il faudra beaucoup plus qu'un changement de cap pour rapiécer un lien de confiance brisé par autant de dérives conservatrices.

(1) L'expression est tirée du premier rapport du criminologue Mathieu Charest, gardé secret par le SPVM jusqu'à ce que ma collègue Catherine Handfield le rende public l'été dernier. L'auteur note que la proportion de jeunes Noirs interpellés dans les quartiers chauds (environ 40%) est beaucoup trop élevée. Il recommande de «mieux cibler les individus» et d'éviter les «expéditions de pêche».