Aux yeux de ceux qui en nient l'existence, le profilage racial ne serait qu'un beau prétexte utilisé par des délinquants pour se défiler devant la justice. Selon cette logique, la consultation lancée par la Commission des droits de la personne sur cette question taboue porterait sur un problème qui n'existe pas.

J'ai écrit sur le sujet cette semaine. Selon plusieurs, j'aurais donc écrit sur un phénomène inventé, créé de toutes pièces par des apôtres de la rectitude politique. Je serais même aveuglée par mes «théories hippies», écrit un lecteur. Un peu de patchouli avec ça?

Le temps est donc venu d'enlever mon poncho de hippie pour clarifier deux ou trois petites choses sur ce sujet complexe et délicat. La première: je ne doute pas qu'il se trouve des gens malintentionnés qui lancent de fausses accusations de profilage racial ou de racisme pour échapper à leurs responsabilités. La stratégie est bien connue non seulement des délinquants, mais aussi des extrémistes religieux, avec ou sans niqab, et même des politiciens à court d'arguments.

S'il faut bien sûr dénoncer ce genre de récupération éhontée, il est pour le moins réducteur d'en déduire que le profilage racial, bien documenté par de multiples études, n'existe pas.

Admettre que le profilage racial existe et tenter d'y trouver un remède, cela ne veut pas dire qu'il faut fermer les yeux quand un Noir ou un Arabe contrevient à la loi, ça va de soi. Cela ne veut pas dire non plus que tous les problèmes d'une communauté victime de discrimination sont attribuables à ce seul et unique facteur. Il s'agit plutôt de veiller à ce que tous les citoyens soient traités équitablement, peu importe la couleur de leur peau ou leur condition sociale.

Il s'agit de prendre conscience des conséquences graves du profilage, notamment sur les relations entre les jeunes des minorités et la police. C'est d'autant plus important que, dans 20 ans, à Montréal, près du tiers de la population sera issue de «minorités visibles» - étiquette absurde que le gouvernement colle à bien des gens que l'on préfère pourtant ne pas voir.

Ceux que la question du profilage racial préoccupe auraient intérêt à jeter un coup d'oeil à l'enquête approfondie récemment menée par le Toronto Star sur le sujet(1). Ce fascinant reportage faisait suite à une série très controversée publiée en 2002 par le quotidien torontois. L'enquête de 2002 avait été inspirée notamment par l'incroyable histoire d'un jeune homme sourd de Toronto, originaire du Ghana. En quatre ans, cet homme noir avait été interpellé 17 fois par la police sans raison. Une fois alors qu'il se rendait à son travail en bicyclette. Une autre fois alors qu'il marchait dans la rue. Une autre fois encore dans un café. Et ainsi de suite.

Les 17 fois, l'homme a coopéré et s'est plié aux demandes des policiers. Mais la 18e fois, il en a eu assez. Il y a eu escalade de violence. L'homme dit avoir été frappé par les policiers. Il a porté plainte. Les policiers ont finalement été acquittés.

La série du Toronto Star publiée en 2002 montrait, après une analyse approfondie des données policières, que les Noirs arrêtés par la police torontoise étaient traités plus brutalement que les Blancs. L'enquête a provoqué toute une controverse. Elle a été accueillie avec hostilité dans le milieu policier. Le chef de police de l'époque avait nié catégoriquement que ses agents pratiquaient le profilage racial. Il y a eu aussi des réactions de déni tant chez des politiciens que dans les médias. Alors que, dans les communautés noires de Toronto, on confirmait à l'unanimité que cela ne faisait que refléter un problème de discrimination systémique(2).

En mai 2003, voulant approfondir la question, le journaliste Jim Rankin a demandé à la police de Toronto de lui fournir de nouvelles données sur les arrestations, notamment des détails sur les gens que l'on choisit d'interpeller et les cas où cela ne mène à aucune arrestation ou accusation.

La police a refusé, ce qui a mené à une longue bataille devant les tribunaux. Le Toronto Star a finalement eu gain de cause six ans plus tard. Et l'enquête a été publiée le mois dernier. Elle confirme que les Noirs sont trois fois plus susceptibles d'être interpellés par la police torontoise que les Blancs et que le profilage racial y est pour quelque chose. Un fait qui n'est plus du tout contesté par le nouveau chef de la police de Toronto, Bill Blair, qui n'a pourtant rien d'un hippie. Il reconnaît l'importance de l'enjeu et parle même de la nécessité de changer la culture policière. Un très bon pas vers la recherche de solutions.

 

 

(1) www.thestar.com/specialsections/raceandcrime (2) La série de reportages est le point de départ de l'essai Racial Profiling in Canada de Carol Tator et Frances Henry (University of Toronto Press, 2006) dont je tire ces informations.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca