Il ne regrette rien. Il n'a commis aucune erreur. Il est demeuré calme et en possession de ses moyens. Il a même été «respectueux» et a pris des décisions «judicieuses».

Si l'on en croit la version de l'agent Jean-Loup Lapointe, on en vient presque à croire qu'un policier peut tuer quelqu'un dans un esprit «respectueux». On en vient presque à penser qu'il faudrait décerner une médaille de bravoure au policier qui a abattu Fredy Villanueva le 9 août 2008 à Montréal-Nord.

Pendant de longues heures cette semaine, dans une salle d'audience sous haute tension, j'ai écouté le policier Lapointe donner froidement sa version des faits à l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva. Un témoignage très attendu qui m'a paru troublant à plusieurs égards.

Sans surprise, l'agent Lapointe s'en est bien sûr tenu à la version officielle, celle qui corrobore la thèse de la légitime défense. Racontant les faits avec flegme, le policier n'a pas exprimé un début de semblant d'empathie pour les parents de Fredy Villanueva, assis au premier rang. Il a parlé de l'écorchure qu'il avait eue au coude. Il a raconté comment il a tenté de consoler sa partenaire, Stéphanie Pilotte, après «l'événement». Il a évoqué sa peine quand il a appris qu'une collègue avait été blessée dans l'émeute du 10 août. Mais pas un mot pour cette mère et ce père en deuil qui l'ont longuement fixé, l'air abattu, une tristesse infinie dans le regard.

Ainsi, l'agent Lapointe estime qu'il a agi de façon exemplaire. Il n'a aucune recommandation à faire au coroner pour éviter qu'un «événement» comme celui-là ne se reproduise. On ne pouvait bien sûr pas s'attendre à ce qu'il s'inculpe lui-même ou se confonde en excuses. Mais de là à considérer, avec un haussement d'épaules, la tragédie qui a coûté la vie à un jeune homme de 18 ans non armé comme une fatalité, il y a tout de même un pas.

Ce qui était aussi troublant dans le témoignage de l'agent Lapointe, c'est cette façon de déshumaniser ses adversaires. Durant tout son récit, il a pris soin de ne presque jamais nommer Fredy Villanueva et les jeunes qui étaient à ses côtés. Il a parlé «d'individus», son avocat a même parlé d'un «personnage», comme si on était dans un mauvais roman policier. Quand il a raconté le moment où il a abattu le jeune homme de 18 ans, il a parlé d'une «masse». Il fallait, dit-il, tirer «au centre des masses». Et il l'a fait, a-t-il raconté froidement, en suivant à la lettre les étapes du tableau d'emploi de la force.

La description de Dany Villanueva dans le vif de l'action était aussi éloquente. «Son visage est crispé. Ses yeux sont plissés. Il sort les dents», a raconté le policier. Allait-il aussi sortir les griffes? a ironisé le criminologue Jean-Paul Brodeur, qui, en entrevue à la radio de Radio-Canada, a noté que l'on voit généralement ce genre de description pour les animaux, et non pour les êtres humains.

On comprend que le rôle d'un policier, en situation d'urgence, n'est pas celui d'un travailleur social. On comprend aussi que les jeunes dont on parle ici n'étaient pas nécessairement des enfants de choeur et qu'ils ont eu leur part de responsabilité dans l'escalade de violence du 9 août. Mais de là à les considérer comme des animaux ou des cibles fictives, encore une fois, il y a un pas.

Autre élément troublant, clairement mis en évidence par les questions du coroner André Perreault: le témoignage du policier Lapointe confirme une fois de plus que les règles de la politique ministérielle, essentielles pour assurer l'objectivité de l'enquête dans un cas comme celui-là, ont été bafouées en long et en large. Aucun enquêteur de la section des crimes majeurs n'a été dépêché sur les lieux avant que les policiers impliqués ne quittent la scène, comme l'exige pourtant la politique ministérielle. On a aussi souligné le fait que l'agent Lapointe a donné sa version des faits à son délégué syndical en présence de la policière Pilotte, ce qui est en principe interdit. On n'a pas respecté non plus la règle voulant que l'arme soit saisie intacte à des fins d'expertise - l'agent Lapointe l'a lui-même déchargée et déposée dans une boîte de carton.

La politique ministérielle, rappelons-le, dicte la marche à suivre lorsque se produit un événement impliquant des policiers au cours duquel quelqu'un a été blessé ou tué. Une marche à suivre qui, en principe, vise à garantir l'impartialité du système de justice. Cette garantie est aussi importante pour les policiers, dont la crédibilité est en jeu, que pour la population, qui doit avoir confiance en son système judiciaire.

Cela nous ramène à cette question fondamentale: «Qui police la police?» Il y a 11 ans, la commission Poitras, dont faisait d'ailleurs partie le coroner André Perreault, avait tenté de répondre à la question. Le rapport Poitras avait notamment conclu que la Sûreté du Québec devait apprendre à enquêter sur ses déviances, à mettre un terme à la «solidarité malsaine», à lever la «loi du silence». Bien que le contexte de l'enquête Villanueva soit bien différent, on y soulève la même question fondamentale. Et il sera important, tant pour les policiers que pour les citoyens, de trouver une réponse satisfaisante.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca