Si un pharmacien avait la preuve qu'un médicament qu'il vend sans ordonnance tue ou rend très malades une proportion importante de ses patients, pourrait-il continuer à le vendre?

C'est pourtant ce que fait le Québec en continuant d'exporter de l'amiante. Il agit en pharmacien escroc qui s'enrichit en mettant en péril la santé de travailleurs de pays pauvres.

 

Comment défendre l'indéfendable? C'est ce que Jean Charest, en mission économique en Inde, a tenté de faire sans grand succès. Des travailleurs indiens lui ont demandé de ne pas faire passer les intérêts de l'industrie de l'amiante devant les droits et les vies de gens de pays en développement. Car comment peut-on justifier l'exportation en Inde d'un produit dangereux que l'on n'ose même plus utiliser au Québec? La vie d'un travailleur indien vaudrait-elle moins que celle d'un travailleur québécois?

Le premier ministre Charest s'est défendu en disant que l'amiante chrysotile n'est pas un produit interdit. Il n'a évidemment pas précisé que le Canada, sous les pressions du lobby de l'amiante, est la seule démocratie occidentale à s'être toujours opposée aux efforts internationaux visant à en réglementer le commerce. Il n'a pas précisé non plus que cette opposition s'est faite «en manipulant honteusement les connaissances scientifiques par des moyens politiques», comme l'a déjà observé le Journal de l'Association médicale canadienne dans un éditorial virulent qui qualifiait la mortalité liée à l'amiante d'«exportation canadienne».

Il a sans doute aussi oublié de préciser ce que lui ont rappelé la semaine dernière, d'une seule voix, une centaine d'experts scientifiques de 28 pays: «En vertu de la loi canadienne, l'amiante chrysotile est défini pour être une substance dangereuse, mais le gouvernement du Québec a réussi à empêcher l'extension de cette définition au droit international sur l'environnement, comme si toutes les vies ne requéraient pas la même protection que celle des Canadiens.»

Rejetant les doléances des travailleurs indiens, Jean Charest a joué la carte de la non-ingérence: il appartient au gouvernement indien, dit-il, de faire appliquer des normes d'utilisation de l'amiante chrysotile. Clément Godbout, ex-patron de la FTQ devenu président de l'Institut du chrysotile, a abondé dans ce sens. Selon lui, il revient aux travailleurs indiens dont la santé est menacée de faire pression sur leur propre gouvernement pour obtenir des règles d'utilisation sécuritaires. Une attitude tout à fait hypocrite et irresponsable quand on sait que le Canada reconnaît qu'il est impossible de manipuler l'amiante en toute sécurité.

L'Organisation mondiale de la santé estime que l'utilisation sécuritaire de n'importe quelle forme d'amiante n'a pu être établie nulle part dans le monde, comme l'ont d'ailleurs aussi rappelé en choeur à M. Charest les experts scientifiques. L'Institut national de la santé publique du Québec a publié 15 rapports qui allaient dans le même sens. Non pas un, ni deux, mais 15! Prétendre après qu'un pays en développement comme l'Inde peut réussir là où le Québec et d'autres sociétés industrialisées ont toujours échoué relève de l'hypocrisie.

Quoi qu'en dise le lobby de l'amiante, qui n'est pas la source indépendante la plus fiable dans les circonstances, la preuve qui pèse contre les marchands d'amiante est accablante. Toutes les formes d'amiante sont dangereuses. Et quand on dit «dangereuses», on ne parle pas de petits risques sans importance comme on en affronte tous les jours. On parle de tragédies qui peuvent être évitées. Après 130 ans de scandales, des milliers de morts dans le monde et une tonne d'avis irréfutables d'experts indépendants, Québec ne peut faire semblant de ne pas le savoir.

«Au Québec, l'exposition à l'amiante est la première cause de mortalité des travailleurs», rappellent encore les 106 experts qui ont écrit à M. Charest. En 2009, la Commission de la santé et de la sécurité du travail a recensé 61 morts liés à l'amiante au Québec. On parle désormais d'épidémie de maladies associées à l'amiante. En 2004, il y a eu dans la province plus de 600 cas de mésothéliome, d'amiantose et de cancer du poumon liés à l'amiante. Des chiffres qui ne dévoilent qu'une parcelle de la tragédie car, comme le note le Dr Paul Demers, de l'Université de la Colombie-Britannique, «une grande partie du fardeau des maladies associées à l'amiante demeure non reconnue».

Les experts parlent à juste titre d'une «tragédie de santé publique». Ils demandent de mettre fin à l'exportation de cette tragédie, notamment dans des pays comme l'Inde, qui composent déjà avec leur lot d'injustices et de souffrances.

Comment justifier que, d'un côté, Québec dépense ici des millions pour enlever l'amiante des écoles et des hôpitaux alors que, de l'autre, il encourage l'exportation de ce produit vers des pays du tiers monde en leur disant qu'il n'y a aucun risque?

Les travailleurs indiens qui ont rappelé M. Charest à l'ordre ont raison. C'est tout aussi honteux qu'indéfendable.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@ lapresse.ca