On reproche ces jours-ci aux médias de trop parler d'Haïti. Mais ce qui inquiète Onel, c'est lorsqu'on n'en parlera plus.

«Quand les médias vont quitter le pays, Haïti va connaître de mauvais jours. Ce sera très dangereux pour la population.»

 

Onel est un réfugié haïtien. Un jeune homme de 32 ans au grand sourire timide, qui parle tout doucement en citant des proverbes. Il me raconte qu'il travaillait dans une station de radio en Haïti. Il y organisait des débats à saveur sociopolitique. Ça lui a valu des menaces de mort. Il a dû fuir en 2007. Il a demandé l'asile politique au Canada.

Je l'ai rencontré dans le sous-sol de Projet Refuge à Montréal. C'est là, boulevard Pie-IX, qu'il a été hébergé à son arrivée. Le temps de déposer sa valise, de trouver un emploi et de recommencer sa vie ici, en banlieue d'Haïti.

Plus de 10 jours après le séisme, la banlieue est en deuil. Quand Haïti a tremblé, Onel s'est mis à trembler de tout son corps lui aussi. Il a passé cinq jours d'angoisse, sans nouvelles de ses proches. Et puis l'angoisse a cédé la place à une profonde tristesse. Sa famille immédiate est saine et sauve. Mais il a perdu des amis, une partie de son pays. Il a perdu le moral aussi. Quand il regarde son «cher Haïti» à la télé, il pleure. On a beau être exilé, la tristesse suit.

«Ça ne devrait pas être un luxe de sauver des vies», dit Onel, qui déplore que l'on n'ait pu sortir des décombres davantage de survivants. Il y a une tristesse infinie à voir des gens mourir faute de moyens.

En Haïti, Onel a fait des études en sciences juridiques. En plus de la radio, il a travaillé comme enseignant. Ici, il fait du ménage dans une usine la nuit. Il donne aussi un coup de main dans un cabinet d'avocats, comme interprète créole-français. Il travaille parfois 18 heures de suite. Il envoie de l'argent à sa famille restée là-bas. «En Haïti, quand on prépare quelque chose à manger, on pense au voisin et on lui envoie un plat. On est soudé ensemble.»

Malgré les nuits passées à l'usine, Onel ne se plaint pas de sa vie d'exilé. Être en vie, c'est déjà pas mal. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des rêves.

On a parlé de l'écrivain Dany Laferrière. Lui aussi, alors qu'il était jeune journaliste en exil à Montréal, a dû faire du ménage la nuit à l'aéroport de Montréal. Onel aimerait bien le rencontrer un jour. Pour un exilé haïtien, Laferrière, ce n'est pas qu'un grand écrivain. C'est avant tout l'espoir. L'espoir qui fait vivre.

Onel n'a que de bons mots pour la société qui l'a accueilli. «L'homme éclairé n'a pas de patrie», dit-il. Il trouve les gens d'ici forts et compréhensifs. Mais il en appelle à l'humanité du gouvernement canadien. Il souhaiterait que les dossiers des demandeurs d'asile haïtiens, laissés pour compte dans l'élan de générosité post-séisme, soient traités avec une certaine souplesse. «Ça laisse de la tristesse de voir qu'on n'a pas pu faire venir des membres de notre famille. Si les autres n'avancent pas, c'est comme si moi, je n'avançais pas.»

L'espoir fait vivre, répète Onel. Il aimerait retourner à l'université. Peut-être en communication. Ou en droit. Ou encore en enseignement. Il croit plus que tout en l'éducation. Étudier pour participer au développement de son pays d'origine. «Oui, Haïti peut s'en sortir et doit s'en sortir. C'est un peuple qui veut vivre. C'est la première république noire. Nous avons été la perle des Antilles, même si, de nos jours, on semble être devenus la perte des Antilles.»

Pour Onel, Haïti n'est pas un pays pauvre. «Nous sommes un pays riche, mais nous n'avons pas pu mettre en valeur nos richesses...Il faut une vision pour Haïti.»

L'aide internationale est essentielle. Mais il faudra surtout mettre à contribution les cerveaux haïtiens, dit-il. «Le jour où nous, les Haïtiens, nous arriverons à comprendre que nous avons vraiment un peuple fort, on va s'en sortir.»

L'espoir fait vivre, répète Onel. «Peut-être qu'un jour, Haïti sera un paradis terrestre. C'est un si beau pays...Il faut le reconstruire avec tous ceux qui veulent pleurer avec nous.»