Quelle urgence y avait-il à sabrer le financement de programmes d'enseignement collégial offerts dans des écoles juives orthodoxes? demandait samedi un éditorial sentencieux de The Gazette.

Insatisfait par les explications de la ministre Michelle Courchesne, The Gazette y soupçonnait la ministre d'avoir agi par calcul politique. «Si c'est le cas, c'est honteux», lisait-on.

Honteux? À mon sens, ce qui est honteux, c'est que l'État ait financé pendant toutes ces années des programmes communautaristes qui vont à l'encontre des fondements mêmes de notre système d'éducation. Ce qui est encore plus honteux, c'est qu'au nom d'un soi-disant respect de la diversité culturelle, on ait accepté d'encourager son contraire, c'est-à-dire la ségrégation scolaire. Car c'est bien ce qui cloche dans cette histoire. Si des jeunes, du fait de leurs croyances, veulent poursuivre des études collégiales sans jamais côtoyer des élèves d'autres croyances et sans jamais aller dans une classe mixte, c'est leur droit le plus strict. Mais l'État ne peut financer une école ainsi repliée sur elle-même. Il ne peut encourager la ségrégation pour les uns tout en faisant la promotion de l'école comme vecteur de culture commune pour les autres.

Les ministres de l'Éducation qui se sont succédé depuis plus de 20 ans ont choisi de fermer les yeux sur l'absurde statut particulier accordé à des juifs orthodoxes par un décret du gouvernement péquiste en 1984. Il y a 10 jours, Radio-Canada a dit avoir «appris» que le Ministère tolérait ces programmes du cégep Marie-Victorin depuis plus de 20 ans, mais, en fait, la situation était connue depuis longtemps. Mon collègue Denis Lessard a publié un article sur le sujet en janvier 2005. Le titre était sans équivoque : «Un collège réservé aux élèves juifs financé à 100% par l'État».

À l'époque, à la suite du tollé soulevé par la décision du gouvernement Charest de financer à 100% des écoles privées juives, le ministre de l'Éducation Pierre Reid avait reculé et promis du même souffle de revoir le cas bien particulier de ces élèves juifs orthodoxes qui pouvaient s'inscrire au cégep sans jamais mettre les pieds dans une classe mixte. Mais comme ses prédécesseurs, tant péquistes que libéraux, Pierre Reid n'a rien fait.

Après toutes ces années de laisser-faire, comment peut-on reprocher à la ministre Courchesne d'avoir agi de façon précipitée? En réalité, la ministre a simplement fait ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. Et à mon sens, elle aurait même pu aller plus loin. Car la question de fond, ici, ne concerne pas les choix éducatifs de juifs orthodoxes qui veulent vivre en marge de la société. La question de fond, c'est celle de l'école publique et du «vivre-ensemble». Elle concerne toutes les écoles à vocation ethnoculturelle ou religieuse qui reçoivent un financement de l'État, qu'elles soient grecques ou arméniennes, musulmanes ou catholiques.

Malheureusement, le rapport Bouchard-Taylor n'a fait qu'effleurer cette question cruciale en recommandant timidement à l'État de «prêter attention» au dossier des écoles ethnoconfessionnelles. L'an dernier, un amendement à la Loi sur l'instruction publique a heureusement mis fin aux contrats d'association entre les commissions scolaires et des écoles privées ethnoconfessionnelles. Ces ententes conclues avant l'entrée en vigueur de la loi 101, dans le but d'encourager la francisation, n'avaient plus leur raison d'être 30 ans plus tard. Les contrats permettaient entre autres à quatre écoles privées grecques d'être financées à 100% par l'État, bénéficiant des avantages accordés aux écoles publiques. Un non-sens d'autant plus aberrant que le ministère de l'Éducation n'avait que peu de contrôle sur la gestion des fonds publics. En 2004, une enquête avait révélé que plus de 100 000$ avaient été dépensés de façon farfelue par l'ancienne administration de l'école Socrates, dont 24 000$ en appels érotiques aux services Live Girls et Pool Party, au moment même où la direction disait n'avoir pas les fonds nécessaires pour payer ses professeurs. Bref, on était, disons, un peu loin des beaux objectifs de francisation et de vivre-ensemble.

Le changement à la loi fait en sorte que ces institutions deviennent des écoles privées comme les autres, financées à 60% par l'État. Mais à mon sens, pour être conséquent, il aurait fallu dire non à toute forme de financement public d'écoles réservées aux membres d'une seule communauté. Car le système d'éducation québécois ne peut, d'un côté, prôner le vivre-ensemble et, de l'autre, financer le «vivre-séparé». Il n'y a rien de honteux à défendre ce principe.

Pour joindre notre chroniqueuse : rima.elkouri@lapresse.ca