C'est l'histoire d'un jeune professeur irlandais qui est tombé amoureux d'une fille de Chicoutimi. Après deux ans d'amour suspendu entre Chicoutimi et Dublin, il décide de faire le saut au Québec. Le jeune Irlandais s'inscrit à la maîtrise à Montréal. Il obtient un permis de résident temporaire. Il travaille comme un fou, apprend le français rapidement, décroche son diplôme. Il trouve un travail, fait des projets avec son amoureuse. Et puis, un beau matin, il reçoit une lettre d'Immigration Canada lui disant qu'il n'est plus rien ici. Sans statut légal. Débrouillez-vous pour retrouver votre statut ou quittez le pays immédiatement, sans quoi on pourrait vous expulser, lui écrit-on.

C'est donc l'histoire d'un jeune homme exemplaire qui a le profil de l'étudiant modèle que les autorités souhaitent attirer ici et qui se fait pourtant dire qu'il est persona non grata. Je l'ai rencontré la semaine dernière. Un jeune homme poli, trop poli, au bord du désespoir. Il se sent perdu. Perdu dans la maison des fous d'Immigration Canada. «Je ne sais pas si vous savez ce que cela signifie d'être sans statut dans un pays qui n'est pas le vôtre», me dit-il, découragé. Sous son bras, une pile de documents bien classés pour prouver à qui voudra bien l'écouter qu'il n'est pas cet «illégal» que l'Immigration dit qu'il est.

 

Il me raconte son histoire kafkaïenne. Il s'appelle Kieran. Il a 29 ans. Il était professeur à Dublin. En juin 2004, il a rencontré Marie-Christine, originaire de Chicoutimi. Elle avait décidé de passer un été en Irlande comme fille au pair, juste avant de commencer ses études en médecine à Montréal. Ils sont tombés amoureux. Ils se sont revus plusieurs fois. Jusqu'à ce que Kieran décide de quitter l'Irlande pour la suivre.

L'histoire aurait pu être simple, mais elle s'est compliquée avant même que Kieran ne puisse mettre les pieds ici comme étudiant étranger. En 2007, quand il fait une demande pour obtenir un certificat d'acceptation du Québec, nécessaire pour étudier au pays, une première bourde vient retarder ses plans. Au lieu d'inscrire «IRELAND» sur l'enveloppe, comme Kieran l'a lui-même écrit, un fonctionnaire retranscrit: «IRAN». Résultat, le certificat de Kieran est envoyé à Téhéran, ce qui n'est pas très pratique quand on habite Dublin.

Résilient, notre jeune Irlandais s'accroche à son rêve. Au mois d'août dernier, il termine avec succès une maîtrise en kinanthropologie à l'UQAM. Le 5 août, sachant très bien que son statut légal au pays vient à échéance le 31 août, il appelle Immigration Canada. Il explique à l'agent que son permis temporaire expire, qu'il n'aurait pas son bulletin final et les documents prouvant qu'il a réussi ses études avant le 31 août, mais qu'il désire tout de même se prévaloir du programme de permis de travail post-diplôme. Comment faut-il procéder? demande-t-il.

L'agent lui explique de vive voix, puis par courriel, qu'il a le droit de travailler dans les 90 jours suivant la fin de ses études, même si son statut vient à échéance. Et il lui dit d'envoyer dès qu'il les aura ses documents à Vègreville, en Alberta, là où toutes les demandes sont traitées.

Kieran, qui est plutôt du genre perfectionniste avec des bulletins tapissés de A, suit à la lettre les consignes de l'agent. Le 14 octobre, il reçoit une lettre d'Immigration Canada lui disant qu'il a tout faux. On lui renvoie sa demande en indiquant qu'elle est en retard et qu'il manque des documents. On lui indique aussi que pour s'inscrire au programme de permis de travail post-diplôme, il faut avoir un permis d'études encore valide. Et on le somme de payer 325$ pour retrouver son permis d'études perdu.

«C'est quoi ça? se dit Kieran. J'avais expressément appelé le 5 août pour leur expliquer que je n'avais pas encore mes notes finales et pour savoir quoi faire!»

Kieran rappelle Immigration Canada. Une agente lui explique gentiment que les informations données le 5 août étaient erronées. Il lui aurait fallu écrire une lettre indiquant qu'il n'avait pas les documents requis et qu'il avait besoin de 90 jours de plus pour les avoir. Ce document nommé bridge extension lui aurait permis de garder son statut et de pouvoir continuer à travailler. Trop peu, trop tard... Kieran avait déjà perdu son statut de résident temporaire.

Pris dans un beau cul-de-sac, Kieran paie ce qu'on lui demande de payer. Il envoie tous les documents requis. Il consulte un avocat. Il appelle à Immigration Canada pour faire une plainte. On lui dit d'appeler plutôt son député. Il appelle son député, qui appelle en Alberta, pour se rendre compte que sa deuxième demande a été perdue! Kieran envoie une troisième demande. Ne sachant plus vers qui se tourner, il appelle aussi au bureau de la ministre québécoise de l'Immigration, Yolande James. On lui dit qu'on ne peut rien pour lui... «Personne ne veut écouter mon histoire. Qu'est-ce que je dois faire?»

Mercredi soir, quand sa copine Marie-Christine rentre à la maison, Kieran n'est pas là. Il est parti à l'hôpital. Il ne se sentait pas bien du tout, il avait l'impression qu'il allait mourir. Il avait des palpitations, il faisait de l'hyperventilation, il sentait ses mains engourdies. Il a appelé l'ambulance. À l'hôpital, le médecin le rassure. Simple crise de panique.

Quand j'ai parlé à Marie-Christine, elle était enragée. «Ils ne se rendent pas compte à quel point ça affecte la vie des gens», a-t-elle confié.

Et que dit Immigration Canada de toute cette histoire? Après 48 heures de vérifications, on refuse de confirmer qu'il s'agit d'une erreur tout en admettant du bout des lèvres qu'avec 35 millions d'entrées au pays, il est possible qu'il y ait parfois des erreurs. «Il devrait recevoir des nouvelles bientôt», me dit la porte-parole.

Et le dossier perdu? Elle n'avait jamais entendu parler du dossier perdu. «S'il a une plainte à formuler, le monsieur peut le faire, dit-elle. En 24 heures, on le rappelle.»

Kieran a fait une plainte vendredi. Hier soir, il n'avait toujours pas de nouvelles d'Immigration Canada. Peut-être faudrait-il encore qu'il appelle le député pour qu'il appelle en Alberta pour savoir si la plainte a été perdue...

Allez-vous vous excuser? ai-je demandé à la porte-parole d'Immigration Canada. «Il faudra voir ce qui s'est passé vraiment. Si la faute est établie, on s'excuse.»

Et la dame d'ajouter: «Vous savez, on est gentil. Avant, la personne hors statut devait quitter le pays dans un cas comme celui-ci...»

Que de gentillesse, vraiment.