Esquiver les questions délicates ne les règle pas. Le débat houleux aux airs de déjà-vu qu'a provoqué l'avis de la Commission des droits de la personne sur des accommodements consentis par la SAAQ le montre bien.

En matière de laïcité, le rapport Bouchard-Taylor n'a rien réglé. Pour une raison fort simple: le gouvernement Charest a vite mis au panier ses recommandations prioritaires. Si bien que, lorsqu'on parle de laïcité au Québec, on a l'impression que personne au gouvernement ne sait vraiment de quoi il est question. Le sujet en est même tabou. Au diable la laïcité! Parlons donc de diversité, sujet plus consensuel sur lequel il fait si bon disserter...

La laïcité au Québec se construit par tâtonnements. D'importantes zones d'ombre demeurent. Des zones où la religion vient égratigner l'égalité hommes-femmes. Des zones qu'il faut tenter d'éclaircir.

En mai 2008, le rapport Bouchard-Taylor avait recommandé au gouvernement de produire un livre blanc sur la laïcité. Ce livre blanc devait définir la laïcité québécoise et défendre sa conception ouverte. Il devait aussi permettre de clarifier et de soumettre au débat public les questions irrésolues.

Qu'a fait le gouvernement Charest? De façon tout à fait incohérente, il s'est empressé de réaffirmer la place du crucifix à l'Assemblée nationale, confirmant ainsi le fait que la laïcité demeure un principe bien confus dans la tête de nos dirigeants.

Un an et demi après le rapport Bouchard-Taylor, rien n'est donc réglé. De vieilles histoires d'accommodements ravivent le débat. On recommence à brasser la soupe identitaire qui avait moisi. Des démagogues, trop contents de récupérer l'affaire, se remettent à gruger leur os préféré. Alerte rouge! Il y a deux juifs hassidiques sexistes au bureau de la SAAQ qui veulent passer leur permis de conduire, mettant en péril l'avenir de l'égalité hommes-femmes dans ce pays...

Je ne suis pas d'accord avec la SAAQ, qui trouve raisonnable qu'un juif ultra-orthodoxe ou une musulmane ait le droit de passer son examen de conduite avec un évaluateur du même sexe. Je comprends que, dans les cas bien précis soumis à la Commission des droits de la personne, les demandes ne brimaient techniquement aucun droit et ne désavantageaient aucun employé, puisque les clients qui les formulaient devaient simplement attendre qu'un évaluateur se libère ou prendre un autre rendez-vous le cas échéant. Mais au-delà de la stricte question du droit, un malaise demeure. Sur le plan symbolique, sur le plan des valeurs, la SAAQ vient égratigner ici le principe d'égalité homme-femme.

Ironie du sort, cette histoire resurgit au moment où le Congrès musulman canadien demande d'interdire le port de la burqa et du niqab en public, en soulignant qu'il s'agit d'une pratique médiévale et misogyne. Cette demande montre bien que les accommodements accordés au nom du respect sont parfois perçus comme des reculs au sein même de communautés dont les demandeurs d'accommodements se réclament.

La Charte des droits et libertés protège bien sûr le droit à la religion. Mais si des religions sont sexistes, comme cela arrive trop souvent, est-ce à dire que la charte protège aussi le droit au sexisme? J'ai posé la question à Me Marc-André Dowd, vice-président de la Commission des droits de la personne. «Non!» me dit-il, tout en reconnaissant que la réponse peut sembler «drôle» dans le contexte de la décision rendue dans le cas de la SAAQ.

La charte s'intéresse aux conflits de droits, m'explique-t-il. Lorsqu'elle a été amendée l'an dernier pour ajouter l'égalité hommes-femmes à son préambule, l'intention du législateur était claire, selon lui. «Il y a une indication très claire qu'en cas de conflits de droits, on doit porter une attention particulière au respect de l'égalité hommes-femmes.»

Dans le cas de la SAAQ, la Commission a déterminé que la fonctionnaire, par exemple, qui n'a pas fait passer l'examen de conduite au juif hassidique n'était en rien pénalisée dans son travail. De toute façon, elle n'était même pas au courant de la demande du client. On ne peut donc pas parler d'atteinte à la dignité, selon la Commission. Si la même situation se présentait demain et que l'employée visée par l'accommodement était au courant et se sentait insultée, est-ce que ce serait différent? Peut-être. «C'est jugé au cas par cas», précise Me Dowd.

N'en déplaise à ceux qui voudraient une solution simple à un problème complexe, les lignes ne sont pas si simples à tracer. Les hôpitaux font face tous les jours à ce genre de question, quand il s'agit par exemple de respecter la volonté d'une personne âgée qui préférerait que ce soit une personne du même sexe qui lui donne des soins intimes. Ces préférences n'ont souvent rien à voir avec la religion, et le personnel s'en accommode comme il peut, sans en faire une histoire chaque fois.

Cela dit, pour revenir à la question de la laïcité, un fait demeure. On ne peut laisser en suspens toutes ces questions sans réponse en espérant qu'elles sombrent dans l'oubli. On ne peut non plus laisser le champ libre aux marchands de peur identitaire. Au-delà des beaux discours sur la diversité, le débat sur la laïcité que nous voulons pour notre société doit se faire. Mais pour cela, il faudrait que le gouvernement Charest cesse de l'ignorer.