Cinq minutes en tête-à-tête avec Obama? Mama Baba se disait: «Yes. We Can!» «S'il vient six heures, on s'est dit que l'on pourrait avoir cinq minutes».

Mama Baba, c'est le surnom d'Édith Mukakayumba, géographe montréalaise d'origine rwandaise, qui est à la tête du mouvement Yes We Can Canada/Ensemble pour réussir. Un mouvement spontané né au lendemain de l'élection de Barack Obama, qui rassemble surtout des Montréalais de la diaspora africaine. Poètes, informaticiens, ingénieurs ou autres, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, ils ont en commun d'avoir été inspirés par le nouveau président américain. «Je n'ai jamais vu une telle énergie», me dit Mama Baba, femme engagée qui n'en est pas à sa première expérience.

 

Que veut faire Yes We Can Canada? À long terme, changer le monde, oui, oui... À court terme, profiter du vent d'optimisme créé par l'élection d'Obama pour réfléchir sur le rêve américain et trouver des moyens de l'exporter en mobilisant tous ceux qui y croient. «Il faut faire sortir les gens de l'ombre», dit Mama Baba, qui pense entre autres à tous ces diplômés africains dont le talent est gaspillé. «Quand tu les vois, ils ne disent rien. C'est une catastrophe! Ce n'est pas normal que le groupe le plus diplômé soit le plus sous-employé!»

Le 20 janvier, jour de l'investiture d'Obama, les disciples enthousiastes de ce nouveau mouvement se sont réunis au restaurant sénégalais Gorée. Ils ont fêté la renaissance du rêve américain. Le poète Moïse Mougnan a lu une oeuvre créée pour l'occasion. «Oui... Et vraiment oui... Nous pouvons... Nous pouvons véritablement des tas de choses ensemble... Nous pouvons donner coeur et corps à nos rêves communs. Nos rêves brisés par le poids des solitudes et des incertitudes.»

Pour donner coeur et corps à ces rêves brisés, Mama Baba espérait plus que tout au monde pouvoir voler cinq petites minutes à Obama à l'occasion de sa première visite à Ottawa. Au départ, elle a même eu l'audace d'espérer 15 minutes... Elle a fait des démarches auprès du consulat général des États-Unis. Elle a envoyé une lettre au cabinet de Stephen Harper. Elle a envoyé une lettre à la gouverneure générale Michaëlle Jean. Elle a même invité une dame du Cameroun qui veut créer une Assemblée des peuples pour mettre à la porte les dictateurs d'Afrique, à se joindre à cette rencontre avec Obama à Ottawa... Bref, elle y croyait vraiment.

«Nous sommes conscients de la pertinence de l'argument relatif au peu de temps qu'il passera au Canada. Nous persistons cependant à croire que si le président Obama et son équipe étaient informés de qui nous sommes et des raisons qui nous motivent, ils n'hésiteraient pas à nous réserver de cinq à quinze minutes de leur calendrier bien chargé», a-t-elle écrit au premier ministre Harper et à la gouverneure générale.

Oui, nous le pouvons? Non, vous ne le pouvez pas, lui a-t-on finalement répondu à regret. «On a tout essayé. Ça n'a pas marché», dit Mama Baba, qui s'est finalement résignée à rester dans son salon d'Ahuntsic pour regarder Obama à la télé, hier. Mais pas question pour elle de baisser les bras. «Il y aura une prochaine fois! On ne lâche pas!»

Qu'aurait dit Mama Baba à Obama s'il lui avait accordé ces cinq minutes rêvées? «Je lui aurais dit que nous sommes là pour le soutenir, pour qu'il puisse réussir son pari. Parce que son succès, c'est le nôtre.»

Grâce à Obama, Mama Baba dit avoir redécouvert les États-Unis. Là où elle ne voyait auparavant que de l'arrogance, elle voit maintenant un rêve, un vrai. L'essence même du rêve américain, qui en est un universel fondé sur l'optimisme, l'espoir, la rémunération juste du travail, la démocratie, la liberté...

Obama, c'est aussi la chance de voir cette Afrique que Mama Baba a quittée il y a 35 ans devenir enfin «sujet» de l'Histoire. Pour une fois, l'Afrique n'est pas que sida, guerre ou famine, dit-elle, la voix émue, le regard perçant. Pour une fois, l'Afrique, c'est aussi le président des États-Unis d'Amérique.

«J'ai écrit sur le génocide rwandais. J'ai écrit sur la violence faite aux femmes en contexte de conflits. Je pleurais en écrivant.» Mais là, pour une fois, en regardant Obama, enfant chouchou d'un continent blessé, aller au-devant de l'Histoire, Mama Baba ne pleure pas. Elle rêve et elle y croit.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca