«L'enquête est terminée?» m'a demandé la dame noire derrière le comptoir.

C'était hier après-midi dans une boutique antillaise de Montréal-Nord qui vend des tresses, des perruques, des crèmes éclaircissantes pour la peau et de la gelée de goyave. Dehors, des policiers patrouillaient à cheval aux abords de la rue Pascal et des camions de télévision s'apprêtaient à quitter les lieux. Je venais d'expliquer à la dame que les journalistes qui se pressaient aux Fourchettes de l'espoir, cet organisme à deux pas de son magasin où elle va parfois prendre sa soupe, n'étaient là pour la soupe, mais pour l'affaire Villanueva.

L'enquête est donc terminée? a demandé la dame. Je lui ai dit que oui, l'enquête était terminée. Ou du moins la première des enquêtes, celle qui devait déterminer si on portera des accusations criminelles contre le policier qui a abattu Fredy Villanueva. La Couronne a déterminé qu'il n'y avait pas lieu de porter d'accusation, car le policier était dans une situation de légitime défense. Selon la version retenue par la Couronne, Fredy Villanueva aurait tenté de saisir le policier à la gorge et dirigé sa main vers le ceinturon du policier. Craignant d'être désarmé, le policier a senti qu'il n'avait d'autre choix que de tirer.

La dame m'a lancé un regard sceptique. «Il aurait pu tirer ailleurs!» Comme bien de gens, elle ne comprend pas qu'un jeune homme puisse mourir parce qu'il jouait aux dés au parc Henri-Bourassa - car c'est bien là «l'infraction» officielle pour laquelle il a été arrêté le 9 août. Bien sûr, tout s'est passé très vite. Bien sûr, le policier n'avait qu'une fraction de seconde pour réagir. Bien sûr, il est facile de dire: «Il aurait dû...» alors que l'on n'était pas à sa place. Mais pour elle comme pour bien des gens du quartier, la conclusion tragique et inacceptable reste la même. «Un innocent est mort.»

On aura beau retourner dans tous les sens la tragique histoire de Fredy Villanueva, blâmer les policiers ou blâmer les jeunes qui ont aussi leurs torts dans cette affaire, ce fait troublant demeure: un jeune homme est mort parce qu'il jouait aux dés dans un parc où le règlement municipal l'interdit. «Personne au monde ne pourra remettre à la famille cet enfant qui a été perdu», rappelait hier Harry Delva, du Mouvement Solidarité Montréal-Nord.

Dans ce contexte, l'enquête publique annoncée par le ministre de la Sécurité publique est censée rassurer une population qui, quand elle ne crie pas à l'injustice, se pose de sérieuses questions. Cette enquête permettra-t-elle vraiment de faire la lumière sur la tragédie? C'est ce qu'espèrent les gens de Solidarité Montréal-Nord qui demandent tout de même, avec raison, de réévaluer le processus d'enquête afin que des policiers n'aient plus à juger d'autres policiers. «On aimerait éventuellement qu'il y ait une organisation civile indépendante qui prenne en charge ce genre d'enquête», me disait Jéthro Auguste, de Culture-X, un service d'intégration jeunesse pour les 16-24 ans. Ne serait-ce que pour éliminer toute apparence de conflit d'intérêts, ce serait un pas dans la bonne direction.

Il reste à savoir si l'enquête publique permettra vraiment de tirer de réelles leçons de cette tragédie. Certains comme Jéthro Auguste y croient. Il faut faire confiance au système, on n'a pas le choix, dit-il. D'autres en doutent, n'y voyant qu'une manoeuvre politique destinée à calmer le jeu. En écoutant le ministre Jacques Dupuis annoncer que l'enquête allait «rassurer la population sur le bien-fondé de la décision qui a été prise par le procureur de la Couronne», on ne pouvait malheureusement qu'en douter davantage. Comment le ministre peut-il ainsi présumer des conclusions d'une enquête indépendante qui n'a pas eu lieu?

Si l'enquête publique doit vraiment «faire la lumière» sur la tragédie, qu'on laisse la lumière se faire.

rima.elkouri@lapresse.ca