Je ne sais plus combien de fois j'ai écouté le discours de la victoire d'Obama, tel un nouvel air dont on ne se lasse pas, un nouvel air qui nous fait changer d'ère.

L'extrait le plus émouvant, celui qui me donne des frissons à tout coup, est celui où Obama raconte l'histoire d'Ann Nixon Cooper, cette Afro-Américaine de 106 ans, née d'une génération juste après l'esclavage, qui a vécu assez longtemps pour voir l'impossible devenir possible : élire un Noir au poste le plus important du monde.Il n'y a pas si longtemps, a rappelé Obama, cette femme noire n'avait même pas le droit de vote - parce qu'elle était femme et parce qu'elle était noire dans une société où la ségrégation et le sexisme faisaient la loi. Elle a vécu à une époque «où il n'y avait ni voitures sur les routes ni avions dans le ciel». Elle a vu le temps pas si lointain où Blancs et Noirs ne pouvaient même pas s'asseoir côte à côte dans l'autobus. Elle a vu Martin Luther King rêver et mourir. Elle a vu défiler le grand film de l'Histoire. Elle a vu tant de choses changer. «La douleur et l'espoir, la lutte et le progrès, les fois où on nous disait que nous n'y pouvions rien et les personnes qui ont persévéré avec ce credo américain : Oui, nous le pouvons ! (Yes we can !)»

De façon brillante et poignante, avec l'éloquence d'un poète, Obama résumait le XXe siècle en quelques paragraphes et s'y plaçait à la fin, comme trois points de suspension qui appellent à l'espoir. Voyez tout ce que cette femme a vu, nous disait-il. Et pensez maintenant à tout ce que nos enfants pourraient voir. «Un homme a marché sur la Lune, un mur est tombé à Berlin. Notre monde a été relié grâce à notre science et à notre imagination. Et cette année, lors de cette élection, elle a touché du doigt un écran pour voter parce que, après 106 ans en Amérique, à travers les meilleurs moments et les heures les plus sombres, elle sait comment l'Amérique peut changer.»

Un orateur sans génie en aurait fait une histoire sirupeuse ponctuée de clichés et de slogans creux. Mais dans les mots d'Obama, c'était tout le contraire. La force évocatrice de cette histoire m'a soufflée, comme elle a soufflé des millions de personnes. Elle nous donne à voir le temps qui passe, l'Histoire qui s'écrit dans une main ridée posée sur un écran pour voter. L'image saisissante d'une dame de 106 ans qui incarne la jeunesse retrouvée de l'Amérique, sa soif de changement. Et tous ces gens, jeunes ou vieux, blancs ou noirs, de toutes confessions, dans des palaces ou des coins perdus, à Nairobi, Chicago ou Montréal, qui répètent, hypnotisés : «Yes we can !»

«Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots.» En écoutant Barack Obama, inspirant et inspiré, évoquer sans le nommer le rêve de ce «preacher» d'Atlanta auquel il nous fait penser, j'avais en tête cette phrase lumineuse de Martin Luther King, prononcée quatre jours avant son assassinat, le 4 avril 1968.

Quarante ans plus tard, devant cette longue route escarpée qui est la sienne, un Obama tout aussi lumineux fait renaître le rêve assassiné. Le Monde en parlait comme de la «première bonne nouvelle planétaire depuis la chute du mur de Berlin en 1989». C'est une sacrée bonne nouvelle. Les attentes sont élevées, les déceptions seront inévitables. Il reste qu'Obama incarne mieux que quiconque ce désir profond de dire non aux idiots. Le contraste avec les discours simplistes, manichéens et arrogants de Bush est saisissant. Et réjouissant. Même si tout va mal, surtout si tout va mal, que des guerres font rage et que l'économie s'effondre, c'est déjà ça de pris.