Une vue en kaléidoscope de la vie à Montréal. C'est ce que l'on vous propose avec la série «Une journée à...», ou plutôt «Une soirée à...», faudrait-il dire ici. À la veille du défilé de la fierté gaie, notre chroniqueuse Rima Elkouri nous raconte sa virée dans le Village gai.

«Il y a de la tapette en ville!» a lancé Martin, mon gai et guide de service dans le Village. Cela faisait 10 minutes qu'il tournait en rond à la recherche d'une place de stationnement dans ce qu'il appelle pour rire le village des Schtroumpfs.C'est d'abord sans grand enthousiasme que Martin avait accepté mon invitation à passer une soirée dans le Village. Il fut un temps où il y sortait beaucoup. Plus maintenant. Il a le sentiment d'avoir fait le tour et qu'il lui faut désormais se dévêtir de son habit de Peter Pan pour miser sur une relation stable. Et puis, l'idée de ghetto ne lui plaît pas. «Je trouve ça plate que les gais aient besoin de ça.»

Allons, allons... Il paraît qu'il y a de beaux éphèbes au bord de la piscine de la terrasse du Sky. Ça ne t'intéresse pas? «Même s'il y avait les plus beaux «ti-pits» de la ville de Montréal, ça ne me fait rien. Ça attire les gars qui ne pognent pas et qui veulent se rincer l'oeil.»

J'ai vite compris que mon Schtroumpf gai avait la «switch à bitch» et que l'on ne s'ennuierait pas. Nous sommes ainsi partis à trois: Martin, «guppie» (gai urbain professionnel), célibataire en quête du grand amour, Catherine, une amie à lui, straight en quête de lèche-vitrine platonique, et moi, touriste d'un soir dans le Village en quête d'une chronique. Au terme de la soirée, Catherine et moi avions trouvé ce que nous cherchions. Mais pas Martin. Avis aux intéressés: beau jeune professionnel, sportif, ouvert d'esprit, sérieux à ses heures, aimerait relation à long terme (acoeurouvertlive.ca).

Nous avons commencé la soirée place Émilie-Gamelin, dont on a chassé comme des pestiférés l'an dernier les punks et leurs chiens pour en faire un endroit plus convivial. Il y avait là des policiers en jean qui surveillaient la foule tranquille en ce vendredi soir prometteur. «Je l'aime, ce petit policier-là...» a laissé tomber Martin, bien d'accord avec les moyens de pression des policiers qui ont troqué leur pantalon d'uniforme pour une tenue plus décontractée. «Ils sont plus sexy!»

Nous nous sommes dirigés vers la rue Sainte-Catherine, joyeusement piétonne depuis le début de l'été. «Ville-Marie à pieds (sic) une expérience urbaine», clament les affiches de l'arrondissement. Dommage que personne n'ait pris soin ici de vérifier l'orthographe du mot «pied» avant de reproduire l'erreur à toutes les intersections du Village.

À l'angle de la rue Amherst, un jeune couple gai s'embrassait langoureusement. Nous sommes passés devant Un autre monde, une boutique où des guppies peuvent dépenser leur argent rose en jean et en caleçons griffés. Puis, juste en face, un tapis rouge mène chez Priape, magasin qui porte le nom du dieu gréco-romain de la virilité, dont les fêtes, dit-on, n'avaient rien de pudique. On y vend là aussi des caleçons à fort prix, des calendriers de gars musclés et nus, des DVD 3X, des vêtements gais et branchés et même des fausses fesses. «C'est comme les push-up, mais pour les fesses», me dit Martin.

«Tu mets ça?

- Non, je n'en ai pas besoin!»

Au sous-sol de chez Priape, c'est l'univers des jouets sexuels pour adultes consentants. Fouets, menottes, pince-mamelons et autres combinaisons de cuir et de caoutchouc à prix exorbitants... «Tant qu'à ça, tu mets ton wet suit!» disait Martin en se tordant de rire devant des gens qui, le plus sérieusement du monde, faisaient leurs achats.

Devant le bar l'Aigle noir et le bar Relaxe, une clientèle un peu trop «relaxe» aux yeux de Martin profitait de la terrasse. «Pour moi, c'est des bars de matantes! C'est pour les gais plus vieux, de la génération qui n'a pas connu la mode du culte du corps.»

On a beau parler de «culture gaie» ou de «communauté gaie», on aura compris que la palette est large. Comme s'il y avait plusieurs villages dans le Village. De tout pour tous les goûts. D'un côté de la rue, une librairie aux titres savants comme Homosexualité et initiation chez les peuples indo-européens (à la librairie Ménage à trois, si ça vous intéresse), et de l'autre, un bar de danseurs nus. D'un côté, la théorie, de l'autre, la pratique. Quoique... Martin a sa petite théorie sur les danseurs du Village. «Ce sont surtout des straight!» Comment le sais-tu? «Il y a une certaine arrogance dans le regard qui fait que tu sais qu'il n'est pas gai.»

Nous sommes finalement allés prendre un verre au Sky. «La fierté du Village», dit la banderole posée devant sa terrasse archi-bondée. Nous nous sommes faufilés au milieu des dragueurs du vendredi soir. Tout au bout d'un escalier, la fameuse terrasse sur le toit, où des drapeaux arc-en-ciel volaient au vent. Il y avait là une foule impressionnante, presque exclusivement masculine. Des hommes jeunes ou d'apparence jeune aux traits symétriques, aux muscles apparents, aux abdos bien découpés. J'ai cherché du regard les Adonis du bord de piscine. Mais je n'ai vu qu'un gars bedonnant, sans t-shirt ni complexe, qui détonnait. «T'aimes trop le challenge. Ici, c'est comme un buffet!» a dit Catherine à Martin, étourdie par tous les beaux spécimens qui nous entouraient.

Martin avait l'air d'un enfant dans un magasin de bonbons. Il a beau ne pas aimer les buffets, il a tout de même quitté le Sky les yeux brillants, un numéro de téléphone de plus en poche. La nuit était tombée dans le Village. Devant la Place Dupuis, un sans-abri à la barbe blanche ronflait. Mais pour les autres, la soirée ne faisait que commencer.