«Ce n'est que le début», avertissait une résidante de Montréal-Nord à la suite des émeutes de dimanche. Mais le début de quoi, au juste? me demandais-je hier soir en roulant tranquillement vers le quartier «chaud» désormais refroidi par la pluie et la police.

Nous sommes nombreux à avoir pensé aux banlieues françaises en regardant les images de Montréal-Nord au beau milieu de l'émeute. Il y a trois ans, devant ces banlieues qui brûlaient, on se disait: «Ouf! Ce genre de choses n'arrive pas chez nous.»Eh! bien oui, ça arrive. C'est arrivé. Une première dont personne n'est fier. Le contexte est bien sûr très différent du celui des ghettos français. Mais qu'on le veuille ou non, au-delà du fait que la manifestation contre la répression policière du départ ait été récupérée par des agitateurs, les racines du malaise demeurent les mêmes: l'exclusion.

Contrairement à Denis Coderre qui n'y voit qu'un «incident isolé» dans un «havre de paix», contrairement au maire de Montréal-Nord qui circonscrit le problème à deux rues bien précises de son arrondissement, je ne crois pas qu'il suffira ici de régler le «problème» des rues Rolland et Pascal pour répondre adéquatement au signal d'alarme que nous renvoient ces événements. En minimisant ces incidents violents, on risque de maximiser les problèmes à long terme. On n'empêche pas une marmite de déborder en mettant un couvercle dessus.

Autour d'une table de la Maison d'Elliot, cette ancienne chapelle de Montréal-Nord convertie en studio d'enregistrement et en planche de salut pour bien des jeunes, je discutais de tout ça hier soir. Il y avait là des gens aux premières loges de ce qui se passe à Montréal-Nord. Il y avait de la tristesse, de l'amertume, du découragement.

Il y avait là l'artiste Don Karnage, de Culture-X, un organisme communautaire qui aide des jeunes de milieux défavorisés à se reprendre en main à travers les arts de la scène. Un gars de 31 ans, d'origine haïtienne, qui enseigne à des jeunes comment écrire des chansons. Sa lecture de la situation? «Personnellement, je trouve tout à fait déplorable qu'un jeune meure dans ces conditions-là», a-t-il lancé d'emblée, en faisant référence à Fredy Villanueva, tué par la police samedi soir.

La mort de ce jeune, dont les circonstances devront être précisées par une enquête, suscite bien des questions. Combien de jeunes à Montréal-Nord ou ailleurs se font arrêter de façon tout à fait arbitraire et traiter comme des criminels dangereux juste parce qu'ils sont noirs ou latinos? Don Karnage, qui n'a pourtant rien d'un voyou, a l'habitude de ce genre de traitement. Il me raconte qu'il s'est récemment fait arrêter alors qu'il roulait tranquillement dans le quartier. Le policier lui a ordonné, comme s'il était un criminel, de baisser les fenêtres pour voir ce qu'il y avait à l'arrière de son véhicule, raconte-t-il. «Je lui ai répondu: «Regardez bien, monsieur l'agent. Vous êtes en train de faire affaire avec une nouvelle sorte de nègre. Un nègre qui a de l'éducation. Il va falloir changer la façon dont vous me parlez.»«

À ses côtés, Eddy Pierre, 39 ans, professeur de piano et aussi intervenant de Culture-X, me raconte la même histoire, à quelques détails près. Il s'est fait suivre par des policiers à la sortie d'un concert. On l'a finalement arrêté, avec les gyrophares et tout. «Tes papiers!» Mais quelle infraction avait-il commise au juste? a-t-il demandé aux policiers. «Je te dis: «Donne-moi tes papiers!»« Le policier a observé que la voiture qu'il conduisait n'était pas à son nom. «Elle est au nom de ma femme», a expliqué Eddy. «Est-ce qu'il y a un problème à ça?» On lui a finalement rendu ses papiers et on l'a laissé partir.

C'est arrivé à Don, c'est arrivé à Eddy. Ça arrive trop souvent, disent-ils. Ça ne peut pas continuer comme ça.

L'ennui avec les événements tragiques de la fin de semaine, c'est qu'ils viennent de briser le lien de confiance si dur à tisser entre la communauté et la police. «Il faut recommencer à zéro», dit Eddy.

Jéthro Auguste, directeur de Culture-X, qui organise chaque automne, une semaine de la non-violence, s'en désole. «C'est vrai qu'il y a eu beaucoup de répression dernièrement. Les gens touchés par cette répression ont commencé une manifestation pacifique. Malheureusement, des gens mal intentionnés ont fait du grabuge.»

Comment calmer le jeu? «Si la police reconnaît ses torts, ça peut peut-être mettre un baume.» Peut-être. Ce n'est que le début, dit-on. Le début de quoi? On n'a pas le choix. Il faudra que ce soit le début du dialogue.