Vladislav Tretiak était un tout jeune homme, moins de 20 ans, quand l'Amérique du Nord le découvrit. Grand, athlétique, le regard presque asiatique, visage ouvert, il avait tenu tête aux plus grands joueurs de la Ligue nationale lors de la Série du siècle.

Phil Esposito, Yvan Cournoyer, Bobby Clarke et les autres avaient découvert un grand gardien de but. Et ce n'est qu'à 34 secondes de la fin du huitième et dernier match disputé à Moscou devant un Canada et une Union soviétique à la limite de la perte de conscience que Paul Henderson avait finalement battu Tretiak pour de bon.

Denis Brodeur, le père de Martin Brodeur, avait pris la photo de Henderson célébrant le but de Tretiak étendu sur la glace. Cette photo célèbre était justement sur la table de la suite de Tretiak quand je suis allé le rencontrer à son hôtel: «Oh! Je relaxais un peu avant de me relever», de lancer Tretiak en souriant.

Le colosse a maintenant 58 ans. Il a les mêmes paluches fortes et puissantes, les mêmes épaules solides. Le même sourire aussi.

C'est toujours un plaisir de se retrouver. Ça fait 35 ans qu'on se connaît. Au début, c'était un langage de signes. Assorti des réponses tronquées de Viktor, l'ineffable interprète du KGB qui accompagnait l'équipe partout dans le monde. Une longue réponse de l'entraîneur Viktor Tikhonov était résumée par Viktor par un laconique: «He said no.» Alors, vous pensez bien que poser une question à Tretiak était complètement inutile.

Mais les tournois se sont accumulés. J'ai eu droit à un premier sourire à Toronto en 1976, puis à un signe d'amitié à Edmonton en 1981 et avec l'aide du photographe Michel Ponomareff à une première vraie conversation et enfin, à un premier scoop à Sarajevo. J'avais demandé à Tretiak, tout juste avant qu'il n'aille sur la glace pour un match: «See you at the Canada Cup?»

Sarajevo, c'était février 1984 et on avait annoncé un tournoi de la Coupe Canada en août. Tretiak avait souri et avait fait le signe d'une gorge qu'on tranche en disant: «Tatiana, niet!» Tatiana, c'était madame Tretiak. La Presse avait pu titrer que Tretiak ne serait pas à la Coupe Canada à l'automne. Effectivement, il prit sa retraite à la fin des championnats du monde en blanchissant les Tchécoslovaques 2-0.

«Jamais je n'aurais pu m'imaginer que je serais un jour à Montréal, complètement libre et président de la fédération russe de hockey avec des dizaines de grands joueurs russes évoluant dans la Ligue nationale de hockey. Pendant toutes mes années comme joueur, le système politique soviétique était tellement hermétique et fort qu'on ne pouvait même espérer un changement. C'était notre vie et c'était normal même si, quand on venait en Amérique, on était émerveillé par les édifices, les autos et le rythme de la vie», m'a raconté Tretiak, de passage à Montréal pour un encan, cette semaine: «Si quelqu'un avait dit à l'époque qu'un jour il n'y aurait plus d'Union soviétique et que des Russes pourraient voyager et travailler partout dans le monde, on aurait cru qu'il était fou», ajoute-t-il.

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Vladislav Tretiak est le plus grand héros du hockey russe avec Valeri Kharlamov, l'extraordinaire numéro 17 qui s'est tué dans un accident de voiture aux petites heures du matin. Il est maintenant président d'une fédération en révolution: «Tout a changé en Russie et il a fallu restructurer notre hockey. Désormais, la vingtaine d'équipes de la KHL sont au sommet de la pyramide. En dessous, nous avons une ligue mineure qui est l'équivalent de la Ligue américaine et une ligue junior pour les 17 à 21 ans. De plus, chaque équipe de la KHL chaperonne une école de la ville où elle évolue pour que les écoliers et les étudiants puissent jouer au hockey. On commence à sentir des résultats.»

Son camarade Slava Fetisov, ancien ministre des Sports, est maintenant sénateur et continue d'aider Tretiak à réformer le hockey russe: «La KHL offre deux coupes mais elles n'ont pas l'importance de la Coupe Stanley au Canada. Chez nous en Russie, les victoires les plus importantes sont celles aux championnats du monde et aux Jeux olympiques. Tout le peuple russe a célébré la victoire remportée à Québec en 2008. Pas seulement en Russie mais partout sur la planète où se trouvaient des Russes. C'était énorme après 15 ans d'échecs.»

D'ailleurs, Tretiak trouve le hockey moderne bien plus passionnant que celui de son époque: «Les Canadiens jouaient dans des corridors et nous, les Soviétiques et les Européens, on abusait des passes en retrait. En combinant les deux styles, on a donné naissance à un jeu fabuleux, très excitant et intelligent que j'aime beaucoup. Mais tout ça est né en 1972. Et en 2012, j'espère arriver, avec l'aide du commissaire Gary Bettman et de Bill Daly son adjoint à qui j'ai déjà parlé, à organiser une sorte de grande Coupe du monde. On en profiterait pour rendre hommage aux vétérans qui ont transformé le hockey et qui ont contribué à changer le monde. À ouvrir le Canada aux Soviétiques et vice versa. Je voudrais qu'on honore les Petrov, Yakushev, Esposito, Serge Savard et tous les autres qui ont disputé la plus grande série de hockey de l'histoire», d'expliquer Tretiak avec beaucoup de passion.

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Tretiak est toujours impressionné par les grands joueurs de hockey. L'an dernier, il est allé voir Alex Ovechkin. Il rit: «Il a passé la soirée à lancer et à lancer. Tout le temps, de partout. C'était fou. L'autre soir, je l'ai vu jouer avec Washington et il a passé la soirée à faire des passes sans lancer. Mais c'est Ovechkin, c'est la nouvelle génération», de raconter Tretiak de très bonne humeur. Comme un père parlant de son surdoué trop turbulent.

Il a apprécié sa vie de grand athlète dans l'URSS communiste: «Mais c'était très dur. Nous vivions 10 ou 11 mois dans des camps spéciaux sans voir régulièrement nos familles. On s'entraînait trois fois par jour. C'était terrible. Et la discipline était absolue. C'était trop. J'ai commencé à 17 ans et jusqu'à ma retraite, j'ai passé les 17 jours de l'An suivants quelque part dans le monde, disputant des matchs en Amérique, au Japon ou en Hollande. Loin des miens, loin de Moscou. C'était vraiment très dur», dit-il.

Avant de le quitter, je lui ai demandé de dire en quelques mots ce qu'il pensait des grands adversaires qu'il a côtoyés.

- Guy Lafleur: Le joueur le plus intelligent, le plus spectaculaire et le plus sportif de tous.

- Phil Esposito: (Il rit) Un tank! Quand il s'installait devant mon but, il était plus difficile à tasser qu'un tank.

- Serge Savard: Gros, fort, solide. Le défenseur classique de très grande qualité.

- Bobby Hull: Le joueur favori des fans russes. Il était très amical et très propre. Il n'a jamais donné un coup salaud à ma connaissance. Le plus gentleman de tous avec un tir effrayant.

- Mario Lemieux: Le plus européen des grands joueurs.

- Valeri Kharlamov: Le plus grand joueur de l'histoire du hockey soviétique et russe.

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Quarante ans en 2012. Ça veut dire que les lecteurs de 30 ans n'ont jamais vu Vladislav Tretiak. Ça veut dire qu'ils ne se souviennent pas de l'Empire du mal, comme le qualifiait le président Ronald Reagan dans les grandes années de la Guerre froide. Il n'y a rien de comparable dans le monde contemporain à cet affrontement sportif entre des équipes de deux systèmes politiques qui se faisaient une guerre larvée partout sur la planète.

C'est comme si Oussama ben Laden était venu disputer un combat de boxe contre George W. Bush au Madison Square Garden...