Quand le dernier retrait a été effectué, quand les Giants de San Francisco ont gagné leur première Série mondiale depuis 1954, on a eu une pensée bien spéciale chez les enfants Savard de Chicoutimi: «Chez nous, on a pensé à Ruben, on l'aimait tant et il nous avait tellement raconté de belles histoires de sa carrière dans le baseball majeur.» C'est Félix Savard, le directeur du Ricochet, le club de golf de Chicoutimi, qui me confirmait l'histoire hier après-midi. La veille, c'était sa soeur Dominique, journaliste de sports pendant des années, qui se rappelait certaines anecdotes oubliées...

Et Ruben, c'était Ruben Gomez, le grand lanceur qui avait remporté le troisième match de la Série mondiale de 1954 entre les Giants de New York et les Indians de Cleveland. Quatre victoires de suite. Alors que les Indians, qui avaient dominé la Ligue américaine pendant la saison régulière, étaient largement favoris.

Ce même Ruben Gomez avait été le lanceur partant du tout premier match de baseball majeur disputé sur la côte du Pacifique, quand les Dodgers de Brooklyn sont devenus les Dodgers de Los Angeles et les Giants de New York, les Giants de San Francisco. Gomez avait remporté ce match 8-0 et il était passé à l'histoire.

Il avait terminé sa carrière avec les Phillies de Philadelphie en 1968. Et Henri-Paul Duval était leur dépisteur pour le Québec. C'est lui qui alluma l'intérêt du juge Edmond Savard, président et copropriétaire des Bombardiers de Chicoutimi: «Il avait dit à mon père que ce Ruben Gomez était le plus gentil des hommes», se rappelle Félix Savard.

Toujours est-il qu'au printemps 1969, en même temps que les Expos entreprenaient leur histoire au parc Jarry, Ruben Gomez quittait San Juan, à Porto Rico, pour venir s'installer chez Bernard Morrier, à Chicoutimi. Le coup de foudre fut réciproque. Gomez termina la saison avec une fiche de 12-0, en plus de remplir les stades partout où il lançait.

L'année suivante, avec une moyenne de points inférieure à 1, il gagna neuf matchs... et en perdit un. Ce fut un cataclysme.

Je savais où trouver Gomez les jours de match. Il venait étirer un café à la Tabagie 500, rue Racine, en pratiquant son français avec Cécile, la serveuse que tous les hommes aimaient, et avec Bob Hébert, le propriétaire, la plus grande commère en ville.

Mais pendant ces deux saisons, on pouvait se vanter qu'au Québec, les Expos et les Bombardiers de Chicoutimi envoyaient un lanceur des ligues majeures au monticule pour entreprendre un match. Et certains soirs, quand on consulte la fiche des Expos, le lanceur des majeures était à Chicoutimi, pas à Montréal.

Ruben Gomez n'oublia jamais les Savard et le Saguenay. Aussi bon golfeur que lanceur, il se dénicha un job au El Dorado, le magnifique parcours de golf situé à quelques dizaines de kilomètres de San Juan. C'est Chi Chi Rodriguez qui était le grand patron et Gomez devint un pro reconnu et certifié.

En 1992, quand Félix Savard devint patron du Ricochet à Chicoutimi, Gomez, qui était resté en contact avec de nombreux Saguenéens, prit l'avion et vint trouver Savard: «Il a commencé à venir chaque été en 1992. Jusqu'en 2005, l'année de sa mort. Il avait 75 ans à son dernier voyage. Il était un très bon joueur et un excellent pro. Il demeurait chez les Morrier ou chez un autre de ses amis. Il donnait des conseils ou dépannait un pro en enfilant une bonne cerveza...

Un jour, il a raconté une très belle histoire à Félix Savard: «Il m'a dit qu'un jeune dont il avait payé les études avait assisté à une opération qu'il avait subie. C'était un petit gars du Mexique», se rappelait hier M.Savard qui ajoutait: «Il y avait une affaire de fiducie là-dedans.»

J'ai vérifié. C'est encore plus beau. Ruben Gomez, comme de très nombreux joueurs de l'époque, passait ses hivers à jouer dans les ligues hivernales. Que ce soit en République Dominicaine, au Mexique ou au Venezuela. Un hiver, au Mexique, Gomez se préparait pour son réchauffement d'avant-match quand un gamin s'est mis à le harceler. Il lui offrait des tickets de loterie, dont un qui se terminait par le numéro de l'uniforme de Gomez. Finalement, bon comme toujours, Gomez a donné quelques pesos au gamin et il a acheté le fichu billet.

Quelques jours plus tard, il apprenait qu'il venait de gagner l'équivalent de 35 000$. Une fortune pour l'époque.

Le lendemain, Gomez se rendit à la casa de la famille et leur offrit de partager le gros lot: «Non, cet argent est à vous, senor Gomez», lui répondit le père. Tous les efforts de Gomez pour convaincre la famille demeurèrent vains.

Il se rendit à une succursale d'une grande banque sur la rue principale et il ouvrit une fiducie au nom du gamin. Pour payer ses études plus tard, quand il en aurait besoin.

Quelques années plus tard, Gomez quitta le Mexique et oublia le tout.

Des années plus tard, des décennies plus tard, il se retrouva malade dans une salle d'opération à San Juan, à Porto Rico. Parmi les médecins autour de son lit, il y avait un médecin mexicain qui avait fait le voyage pour être présent pendant l'opération.

Il voulait dire merci à Ruben. C'est avec la fiducie créée en son nom qu'il avait payé ses études de médecine...

Un jour, je saurai le nom du seul lanceur à avoir battu Ruben Gomez dans la Ligue senior du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pour le féliciter.