C'est une belle maison à Coral Gables, dans la proche banlieue au sud de Miami. Autrement dit, à Outremont. Cinq chambres, piscine et belle terrasse à l'arrière.

Deux tables étaient déjà montées. Une pour le repas et l'autre pour les amuse-gueules. Lucian Bute et Stéphane Larouche aiment que les invités soient bien accueillis quand ils sont reçus au camp «militaire» du clan. Ce soir-là, comme ce sera le cas au cours des six prochaines semaines dans la chaleur moite de la Floride, ils étaient quatre à nous recevoir à souper. Lucian Bute, champion du monde des 168 livres, Adrian Diaconu, ancien champion du monde des 175 livres de la WBC et le tortionnaire en chef André Kulesza, celui qui pousse les athlètes à leur extrême limite sans qu'ils ne se blessent ou s'épuisent. Un art qu'il a peaufiné depuis qu'il était plongeur dans la marine polonaise dans les années 60. Une élégante montagne de muscles et de culture.

Et Stéphane Larouche, l'entraîneur-chef chez Interbox, seul entraîneur au Canada à avoir formé trois champions du monde.

Ce jeudi soir, il y avait une raison supplémentaire de festoyer. Lucian Bute, on le sait, a appris un français impeccable au cours des cinq dernières années. Et il s'est lancé dans l'étude de l'anglais et il fait des progrès stupéfiants.

«Lucian est trop gêné pour le dire... mais on a une raison de célébrer», a lancé Larouche pendant le souper.

C'est vrai, Bute a rougi. Le diable d'homme s'est rendu à Galati, en Roumanie l'été dernier: «J'y ai passé mes examens pour obtenir ma maîtrise en administration du sport (sports management) à l'Université du Bas-Danube. Je viens d'apprendre que je suis reçu», a-t-il dit.

Imaginez un peu. Il s'est tapé cinq ans d'études universitaires en communiquant avec ses professeurs par l'internet. Il recevait le résumé de ses cours et ses travaux par courriel et il communiquait par l'internet avec ses profs pour obtenir les explications dont il avait besoin afin de faire ses travaux. Il a bûché sur son mémoire de maîtrise pendant qu'il se préparait pour affronter Librado Andrade et Edison Miranda. Knock-out dans les deux cas.

«C'est un privilège que de pouvoir travailler avec des athlètes de ce calibre. Se rendre au Championnat du monde, c'est une affaire. Mais réaliser qu'une carrière dans la boxe commence vraiment une fois qu'on est champion, ils ne sont pas nombreux à le faire. Lucian Bute est de cette trempe de champions. Il carbure à la compétition, il est bien sous pression et il a compris dans sa tête et dans son corps que toutes les souffrances endurées à l'entraînement vont lui apporter du plaisir dans le ring pendant et après le combat», s'est mis à philosopher Stéphane Larouche.

Vendredi matin, il faisait 100 °F exactement dans le gym où s'entraîne Bute. Il s'est tapé 10 rounds de sparring. De quoi assassiner un autre homme. Mais il est allé au bout parce qu'il prépare son corps à 12 rounds d'enfer contre Jesse Brinkley, un boxeur acharné, confiant et un homme qui ne recule jamais dans un ring. Larouche a commencé à étudier l'homme et le boxeur. Comme il avait étudié Edison Miranda. Jeudi soir, malgré 35 ans de métier, je suis allé plus loin que jamais dans la compréhension intérieure d'un combat. Je n'ai pas l'espace nécessaire pour tout raconter, mais je donne un exemple: «Edison Miranda est un boxeur qui cogne très dur. Il le sait et il sait que ses adversaires sont conscients de cette force meurtrière. Il n'avait jamais été défié en début de combat. Il avait un nouveau coach, il était bien préparé pour le combat, mais je me suis dit qu'il serait bien que Lucian le bouscule un peu dès le départ. Pour le forcer à reculer, ce qu'il n'avait jamais fait. Pour voir comment il réagirait et pour nous donner la chance d'établir notre rythme», d'expliquer Larouche.

Rappelez-vous, Bute qui avance et qui est l'agresseur. Qui découpe le ring.

Rappelez-vous cet uppercut, préparé des milliers de fois dans le gym.

Stéphane explique comment on doit réduire l'angle pour diminuer les chances de l'adversaire, comment il faut lire les déplacements. Et Bute glisse en mimant les mouvements: «À un moment donné, quand l'autre cherche à frapper de partout, il faut prendre une dizaine de décisions en une fraction de seconde. Et préparer la contre-attaque en se protégeant». Autrement dit, toujours penser même dans la tempête.

«C'est certain que le boxeur fait le coach, j'en suis conscient. Mais à la longue, le coach fait le boxeur. Sauf, et on le voit souvent, que si le coach est moins bon que le boxeur, il va se faire larguer au fil des ans», de dire Larouche

La chaleur est lourde, mais le vin est bon. Bute et Diaconu sont à six semaines de leurs combats du 15 octobre et Bute se permet un verre de rouge. Diaconu est au Perrier. Le doux Roumain affronte le vétéran Omar Sheika et il joue gros. Presque sa carrière après ses deux défaites contre Jean Pascal.

La symbiose entre les quatre hommes est palpable. D'ailleurs, Larouche est assis au bout de la table. Comme le parrain. Ou comme le père: «On devient tellement proches qu'on sent comment est notre boxeur. C'est comme une relation entre une mère et son enfant. Dès qu'elle le voit sortir de sa chambre, elle sent qu'il va bien ou qu'il est tout croche. On développe ce rapprochement qui est agréable quand les athlètes sont aussi intelligents et déterminés que Lucian et Adrian», d'expliquer le Bleuet qui a grandi à Jonquière et qui est un disciple d'Alfred Lagacé, un des pères de la boxe au Royaume.

Larouche est très cultivé. Il lit tout le temps. Des briques de 800 pages ou des magazines. Au Québec, c'est un junkie de l'information. En Floride, il coupe tout, y compris la boîte vocale de son portable... qui est fermé. «Ici, nous formons une cellule de guerre. C'est un camp militaire dans son esprit sauf que nous voyons à être confortables. Belle maison, plage après l'entraînement, bonne bouffe, discussions intéressantes en soirée, on fait tout pour que ces camps d'entraînement soient très payants le soir du combat. C'est ici qu'on met le gaz dans la tank. En sachant qu'ailleurs, il y a des grands boxeurs qui font des efforts comparables. À ce niveau, ils sont tous bons. Nous, on essaie de trouver un petit quelque chose de plus qui va contribuer à faire la différence», dit-il.

Ils doivent trouver. Trois champions du monde...

Photo Frédéric D'Amour, collaboration spéciale

Adrian Diaconu, ancien champion du monde des 175 livres de la WBC, Lucian Bute, champion du monde des 168 livres, et le «tortionnaire en chef», André Kuleszca sont assis devant le grand stratège Stéphane Larouche sur la terrasse de la maison de Coral Gables, en Floride, qui leur sert de camp d'entraînement.