C'est un bon roman. Avec des personnages plus grands que nature, des décors exotiques dans le coeur de Londres, avec des enjeux colossaux tant financiers que politiques et à la fin sportifs. Et avec le plus inattendu des héros.

Justement, le héros vient d'entrer chez Ferrera. Costard anglais fort élégant de banquier qu'il est toujours par la bande, cravate un peu plus osée d'avocat qu'il est toujours et aisance devant un calepin de notes d'ancien ministre conservateur qu'il fut.

Michael Fortier est le héros obscur d'une grande saga. Celle du retour du Grand Prix à Montréal après le coup de force de Bernie Ecclestone contre Normand Legault.

«J'étais ministre quand j'ai appris la nouvelle. Environ deux semaines avant les élections. En octobre 2008. Montréal avait perdu son Grand Prix. Je n'en revenais pas. Pendant 36 heures, j'ai tenté de joindre Normand Legault, qui était en Europe. Je cherchais une explication parce que je ne comprenais pas comment on pouvait perdre pareil succès», raconte Michael Fortier.

Finalement, Fortier a contacté Ecclestone lui-même. Le temps pressait puisque les élections allaient bouleverser la vie de Fortier. «Après ma défaite, j'étais encore techniquement le ministre responsable puisque le nouveau cabinet n'avait pas encore été formé. Gérald Tremblay, Raymond Bachand et moi, nous nous sommes rendus à Londres aux bureaux d'Ecclestone.

La légende veut que M. Tremblay ait été fort troublé par le poster des 40 premières «playmates de l'année» du magazine Playboy sur le mur de la petite salle en entrant à droite.

Mais ce qui a vraiment créé un grand malaise chez le trio, ce furent les exigences d'Ecclestone. Il voulait 175 millions pour cinq ans pour livrer le plateau. «Il aurait fallu que les gouvernements soient les promoteurs de l'événement. Nous ne sommes pas élus pour organiser des courses de chars. Ce fut la première fin du Grand Prix du Canada», se rappelle Me Fortier.

Une carte de Bernie

Il reprend après avoir lu quelques courriels sur son Blackberry concernant les tentatives de rachat de la raffinerie Shell dans l'est de Montréal. «C'était fini... sauf que j'avais passé beaucoup de temps avec Bernie Ecclestone au téléphone. Il y avait un côté du bonhomme qui me fascinait. Lui, c'est business all the time. Il a une vision globale de l'entreprise et en même temps, il en connaît tous les détails. Ça m'a d'ailleurs fait plaisir à Noël quand j'ai reçu une carte de Bernie. Ça disait: Désolé de ne pas avoir pu conclure de marché. J'ai gardé la carte en souvenir», dit-il.

La vie a repris sa routine. Mais Fortier était obsédé par une question. Comment Montréal avait-elle pu perdre pareil événement? Comme si on perdait le Festival de jazz. On se poserait de grosses questions parce que ça n'aurait pas de sens. Et voilà qu'en février, il recevait un appel. C'était Ecclestone. «Si jamais tu passes par Londres, viens donc me rendre une petite visite», lui a-t-il lancé.

Dans les semaines qui ont suivi, Fortier s'est rendu à Londres pour des raisons d'affaires. «Je suis allé voir Ecclestone. Une visite d'une quinzaine de minutes fort agréable. Cette fois, j'ai eu droit à une rencontre dans son bureau. Je voulais lui serrer la main, mais surtout, je voulais comprendre. On a jasé de Formule 1. Je ne suis pas un spécialiste, mais je m'étais renseigné. «Ça va pas à mon goût», a reconnu Ecclestone. J'étais là avec mon Starbuck dans la main gauche quand Bernie a fait venir une ou deux de ses spécialistes. Il voulait avoir certaines précisions pour notre conversation. Finalement, il a levé les yeux et m'a lancé: «Pour le Canada, laisse-moi penser à ça, on va s'en reparler». C'était surréaliste comme scène», de raconter Me Fortier.

Une vraie proposition

Fortier, qui agissait à titre personnel et sans mandat politique, a fait rapport de cette étrange rencontre au ministre Christian Paradis, au maire Tremblay et à Raymond Bachand. Ils lui ont rappelé de ne jamais prendre d'engagement au nom d'un gouvernement. De toute façon, il n'y avait toujours pas de proposition écrite. Jusqu'à maintenant, c'était toujours des conversations entre Fortier et B'wana...

Quatre semaines plus tard, Fortier recevait un courriel de huit lignes de Bernie Ecclestone. «C'était une vraie proposition, mais avec tout plein de non-dits. Sauf que Bernie faisait sauter deux gros irrigants. Ce ne serait plus les gouvernements qui seraient les promoteurs et la somme avait fondu. J'ai contacté les ministres et le maire et je leur ai demandé s'ils m'autorisaient cette fois à négocier pro bono avec Ecclestone».

Pendant un mois et demi, Fortier et Ecclestone ne sont pas arrivés à se parler vraiment. La saison de F1 débutait en Australie et en Asie et le décalage horaire compliquait les choses. «Fin avril, Ecclestone m'a appelé. Tout d'un coup, ça pressait. Il fallait sortir un calendrier préliminaire de la saison 2010 et il voulait savoir si on voulait que Montréal en fasse partie. Et il nous offrait une date à la fin de juin. Les ministres étaient formels. Pas question d'un Grand Prix avec les fêtes nationales à la fin du mois. Ce serait avant la mi-juin ou il n'y aurait pas de Grand Prix. C'était non négociable. Pour l'argent, après d'âpres discussions, on était arrivé à 15 millions. C'était jouable pour que les contribuables sortent gagnants», raconte Fortier.

Un travail colossal

Fortier et Ecclestone avaient une entente, mais il fallait que les avocats mettent les points sur les «i» et les barres sur les «t». Les avocats de Stackman Elliot, du bureau de Londres, le faisaient pour Bernie et ceux d'Ogilvy Renault, la firme de Fortier, représentaient le côté canadien: «Nicolas Labrecque a fait un travail colossal. Lui et Charles Lapointe, de Tourisme Montréal, méritent qu'on souligne leur travail. M. Lapointe a convaincu les hôteliers d'accepter une taxe supplémentaire pour financer les 5 millions injectés dans la proposition finale, ce n'était pas évident», de dire Fortier.

Entretemps, le maire Tremblay entrait en campagne électorale, ce qui retardait encore la signature du contrat, et François Dumontier, qui avait négocié de son côté avec Ecclestone, piaffait d'impatience pour se mettre au travail.

Mais les dés étaient jetés. Montréal retrouvait son Grand Prix et Bernie ses 15 millions.

Jeudi soir, Ecclestone - et sa nouvelle flamme brésilienne - et Michael Fortier seront les co-présidents du grand bal à 1000$. Mais les deux ne danseront pas ensemble. Bernie est trop court et Fortier trop grand. Fortier sourit: «Bernie, je le trouve attachant. Pareille vigueur à 79 ans, c'est toujours impressionnant. Et puis, avec moi, il a tenu parole».

Mais avec Bernie, il n'y a toujours qu'une chanson dont il faut se rappeler: Save the Last Dance For Me. Et le dernier danseur, celui qui part avec le trophée de la soirée, c'est toujours Bernie...

Photo: Robert Mailloux, La Presse

Michael Fortier est le héros obscur d'une grande saga. Celle du retour du Grand Prix à Montréal après le coup de force de Bernie Ecclestone contre Normand Legault.