Ça sera la première fois depuis plus de 20 ans que Normand Legault ne sera pas à la barre du Grand Prix du Canada. En fait, les aventures de Legault au Grand Prix remontent à sa toute jeunesse quand il posait des pancartes pour le compte de Labatt. Mais c'était dans une autre vie.

Ça sera la première fois depuis plus de 20 ans que Normand Legault ne sera pas à la barre du Grand Prix du Canada. En fait, les aventures de Legault au Grand Prix remontent à sa toute jeunesse quand il posait des pancartes pour le compte de Labatt. Mais c'était dans une autre vie.

Normand Legault est le plus discret des hommes. Pas d'entrevue, pas d'apparition à la télé, rien pour nuire au «show des autres». Bernie Ecclestone et ses acolytes l'ont spolié de son entreprise, mais il a préféré régler ses comptes dans le silence. Fidèle à son habitude.

Pourtant, il suffit de relire les déclarations d'Ecclestone pour se poser des questions et pour se permettre certaines vérifications qui sont extraordinairement révélatrices.

Par exemple, pour s'arroger le droit de mettre fin au contrat liant FOM à la compagnie de Legault, Ecclestone a crié haut et fort que Legault lui devait au moins 10 millions de dollars. Il a tablé sur l'impact de ces déclarations pour exercer une pression médiatique écrasante et pour faire bouger les politiciens dans le sens qu'il rêvait depuis des années. Résultat de ce chantage qui fonctionne à tout coup sur la planète, les politiciens crachent maintenant 15 millions par année des taxes des contribuables pour convaincre B'wana de venir présenter son cirque à Montréal.

Mais si Legault devait 10 millions à Ecclestone, on doit présumer qu'il a payé ses dettes? Non? Ou du moins qu'un arrangement satisfaisant Ecclestone a permis le retour de la F1 à Montréal? Ce serait logique.

Pas du tout. Legault n'a pas versé un sou noir. Pour une fois, quelqu'un a fait face à Ecclestone. Pendant des mois, selon des sources fiables, Legault a préparé sa défense dans le différend commercial qui l'opposait à Ecclestone. Tout en mettant en place une contre-poursuite pour se faire verser des dommages et intérêts pour rupture illégale d'un contrat.

Une défense fondée sur une incroyable collecte de preuves, de documents, d'agendas, de copies de chèques à Ecclestone, à ses compagnies ou à des compagnies apparentées établies en Belgique, en Suisse ou ailleurs dans le monde.

Vingt ans d'une documentation étoffée.

Puis, quand il a été prêt, Legault a eu la courtoisie de transmettre à son ancien grand ami copie de cette preuve avant de la déposer devant une cour de justice à Londres, où elle deviendrait publique dans les jours suivants. Autrement dit, les constructeurs, les médias et les associés de M. Ecclestone auraient une vue imprenable sur la façon dont on fait les affaires dans son empire.

C'est là que les vraies négociations ont commencé. Impossible de savoir ce qu'il y avait dans cette défense, mais le résultat est clair et net. Ecclestone a tout simplement mis fin à ses réclamations et, toujours selon des sources fiables, Legault n'a pas eu à débourser un sou noir. Même plus, selon une source au courant du dossier, Legault a même été dédommagé pour ses «efforts» dans l'élaboration de sa défense et pour la perte de son Grand Prix.

Une fois cet épineux dossier réglé, Ecclestone pouvait commencer à siphonner les fonds publics. Remarquez que les gouvernements devraient toucher environ 5 millions en participation aux revenus, sans parler des retombées économiques directes de la présentation d'un Grand Prix. Le contribuable s'en tire quand même plutôt bien.

Quant à Legault, il aura gagné une semaine de vacances supplémentaire.

Une trentaine de villes ont présenté des courses de Formule 1 au cours des années Legault. Certaines ont perdu leur course à cause de la situation économique dans le pays, comme Buenos Aires, en Argentine. D'autres à cause de l'incompétence crasse du promoteur.

Pendant ces 20 ans, l'événement de Montréal s'est hissé dans le top 3 mondial des Grands Prix de F1. Monaco demeurant le plus prestigieux, mais Montréal et Melbourne se disputant le second rang. À cause de la passion des gens et de l'histoire de la course automobile au Québec, Montréal a devancé Melbourne.

Mais si le Grand Prix du Canada a su se rendre indispensable à l'ensemble du petit monde de la Formule 1, il faudrait peut-être regarder du côté du promoteur.

Legault a toujours défini sa profession comme étant «organisateur d'événements sportifs». Le cirque que promène Ecclestone partout sur la planète est le même pour tous. Mêmes voitures, même jet set, même télévision toute puissante, mêmes pique-assiettes. Pourquoi Montréal fait-elle partie des grandes villes de la Formule 1, alors que Magny-Cours a perdu sa course? Parce qu'il y a eu Gilles Villeneuve? Ça se peut, en partie. À cause de Jacques Villeneuve? Ç'a beaucoup aidé, c'est évident.

Mais peut-être que Legault y a été pour beaucoup, beaucoup et beaucoup dans cette progression constante du Grand Prix du Canada. Entre un Grand Prix présenté devant des tribunes désertiques en Turquie ou en Chine et un happening fabuleux tenu devant des dizaines de milliers de personnes dès le vendredi, il y a une différence colossale. C'est en faisant de Montréal une destination où il faut aller que Legault et son équipe ont contribué à faire tomber des millions dans les coffres des marchands... et des gouvernements. Tout en faisant de généreux profits au passage, ce qui est l'objectif des affaires. Et il faut espérer que François Dumontier réussira à poursuivre cette quête de l'excellence.

D'ailleurs, les Championnats du monde des sports aquatiques étaient dans la dèche la plus complète en 2005 quand Legault a accepté de répondre à l'appel du maire de Montréal. En fin de compte, on a eu droit à un très grand succès. Ça doit correspondre, là encore, à la définition de sa profession. Organisateur d'événements sportifs.

Et puis, peut-on se le dire avant que la visite n'arrive en «ville», ce n'est pas Montréal que les fous de la F1 vont venir voir la semaine prochaine. Personnellement, juste à penser que mes camarades français, italiens, suisses ou finlandais vont sortir de l'aéroport pour aboutir à l'invraisemblable rond-point de Dorval me gêne. Et après, je vous convie à faire l'exercice, ils pourront admirer les graffitis sur les murs sales bordant l'autoroute menant à Montréal. Et arrivés à Géraldville, ils vont tomber dans les trous, dans les bouchons, sur les cônes orange, sans doute l'entreprise la plus florissante au Québec, et dans une saleté parfois repoussante.

Heureusement, les gens sont beaux. Les rues Peel et Crescent, la Petite Italie et les autres beaux coins de la métropole vont se mettre aux couleurs de la Formule 1 et, pendant une semaine, on va se croire une grande ville internationale.

Ecclestone a 79 ans. Il continue de mener la Formule 1 d'une poigne de fer. Mais depuis qu'il a vendu l'entreprise à des banques, la pression ne cesse d'augmenter. Et ça craque de partout. Une nouvelle génération de constructeurs et de patrons d'écurie ne sont pas à l'aise avec la façon de fonctionner du tsar.

Que fait Legault pendant ce temps? Il garde le silence, il travaille. On dirait un homme en réserve de la république.

Mais évidemment, il n'en parle pas...