À quelques semaines de son duel face à Edison Miranda, Lucian Bute est soumis, en Floride, à un entraînement de Spartiate pour se préparer au défi qui l'attend au Centre Bell, le 17 avril prochain. Réjean Tremblay l'a rencontré tout juste avant qu'il ne rentre dans sa bulle pour ne plus penser qu'à une chose : Edison Miranda.

Sans un GPS, on ne trouve pas la place. De l'autre côté de l'aéroport de Miami, coincé sur une espèce de boulevard Décarie, on sèche en se disant qu'on va être en retard à l'entraînement de Lucien Bute. Il a commencé à 8 heures et demie et l'heure de pointe qui n'en finit plus commence à inquiéter.

 

Y en avait pas de problème. Quand j'ai mis les pieds dans le Thums Gym, Bute travaillait toujours avec un acharnement effarant. Il avait terminé l'épuisante série d'exercices directement liés à la boxe. Shadow, ballon, sac, corde, cette heure d'entraînement qui tue les joueurs de hockey les mieux préparés de la Ligue nationale.

Bute s'attaquait maintenant à l'autre partie de son entraînement. À cette partie qui a servi à terrasser Librado Andrade en quatre rounds à Labeaumeville. Il était dans une cour à l'air libre avec une longue masse à cognée en caoutchouc. Il frappait de droite et de revers sur un énorme pneu de camion avec une fureur contrôlée:

- C'est quoi ça, Rocky VII?

- Excellent exercice pour les dorsaux et les muscles des épaules, de répondre Stéphane Larouche, l'entraîneur qui l'a mené au championnat du monde.

Mais le pneu, c'est quoi la patente?

C'est André Kulesza qui répond: «Le pneu amortit les vibrations. Il n'y a pas de danger de se blesser les bras.»

Je suis resté un peu à l'écart pour voir comment ce tortionnaire allait travailler avec Bute. Kulesza a 63 ans. Une masse de muscles harmonieusement disposés. Comme il ne mange jamais de gras, il a la peau collée sur les muscles. C'est phénoménal. Et si je ne le connaissais pas depuis 25 ans, je dirais que c'est impossible qu'il ait plus que 50 ans. Il a un doctorat en éducation physique et sa liste de champions est interminable. Dans différents sports.

Il travaille avec Bute, chronomètre à la main. Imaginez Stallone dans un des Rocky, je ne sais plus lequel, s'entraînant dans la forêt. Ça ressemble à ça. Bute sur un pied lançant un lourd ballon contre le mur, changeant le mouvement avec chaque lancer pour être certain que muscles et réflexes se développeront avec harmonie. Débile et impressionnant.

Pendant une pause de 12 secondes, Bute montre son ventre matelassé de muscles. Il rit: «Faut faire fondre le chocolat d'hier soir.»

Lucian Bute est déjà à son maximum. À 182 livres, il est au sommet de sa puissance. D'ici le 15 avril, on va faire fondre les dernières molécules de graisse superflues et le déshydrater pour qu'il se présente à la pesée à 167 livres et 12 onces. Après, dans les heures qui vont suivre, on va réintroduire dans son système l'eau et les électrolytes qui vont lui permettre d'être à son top vers 22 heures, le soir du combat.

Puis, Edison Miranda va s'avancer vers lui et toutes ces heures de torture vont trouver leur signification. Miranda est un cogneur, un tueur, que j'ai vu à Fort Lauderdale il y a deux ans. Il faisait la finale et il avait détruit son adversaire David Banks en trois rondes. Et plus tôt, il s'était fait voler une décision en Allemagne contre Arthur Abraham après lui avoir fracturé la mâchoire.

«La boxe est un sport à risques. Il faut rester concentré 12 rondes, ne jamais se laisser distraire. Et il faut avoir la condition physique, la préparation et la stratégie pour éviter les coups meurtriers tout en menant son combat», répond Bute quand je lui parle de Miranda.

Ce que j'ai surtout compris, c'est qu'une fois ces deux journées passées à donner des entrevues et à parler de ses projets, Lucian Bute va entrer dans sa bulle et ne penser qu'à un homme. Edison Miranda.

Et que le plus gros travail de Kalesza sera de l'empêcher de trop en faire. Bute bouffe de l'entraînement comme d'autres des chips. Avec des résultats différents, je le précise.

La veille, on s'était retrouvés au café Avalon à South Beach, dans la partie branchée de Miami Beach. Il y avait Jean Bédard, le président de l'empire Cage aux sports et l'homme qui dirige Interbox. Il y avait Andy Dépatie qui est souvent impliqué dans les affaires de Jean Bédard comme consultant. Il y avait Stéphane Larouche, le patron boxe de l'entreprise. Et Lucian Bute et des invités des médias.

Ça jasait et ça riait fort. Mais passer trois heures à discuter et à parler à une même table, c'est instructif à moins d'être complètement taré.

Ce qui m'a frappé le plus, c'est à quel point Jean Bédard et Andy Dépatie se rejoignent sur un point. Lucian Bute est brillant. Il est averti. Il comprend parfaitement comment les négociations se passent avec les réseaux de télévision et il sait arracher sa juste part des millions sur la table.

Les hommes d'affaires ont souvent la propension à juger un homme sur sa capacité à comprendre les affaires. C'est normal, ils se trouvent fort brillants d'être capables de flouer un rival ou un syndicat. Les deux sont formels, pas moyen d'en passer une vite à Bute... même s'ils le voulaient. Ce qui n'est pas le cas, de toute évidence: «Lucian Bute était présent à la maison pendant toutes les dernières négociations avec HBO. Demande à mon fils, c'est devenu son role model tellement il est impressionnant», dit Dépatie.

Jean Bédard est encore plus succinct: «C'est toute une tête.»

Venant d'un gars qui a pris le contrôle des Cages aux sports à 30 ans, ça doit être un compliment.

Et soit dit en passant, Bute va toucher tout près du million contre Miranda. Et c'est rien à côté de ce qu'il pourrait gagner contre Kelly Pavlik l'automne prochain.

Sa victoire contre Andrade à Québec a changé la donne. Avant, les réseaux américains de télévision se demandaient qui était cette rock star si populaire à Montréal. Après le combat, on savait que la rock star savait boxer. Mets-en, mon HBO.

On est revenu à Jean Bédard avec une liste de boxeurs intéressants pour Bute. Mais le nom d'Edison Miranda était écrit plus gros que les autres. Il est spectaculaire, il cogne dur et il a une solide réputation internationale. C'était parfait pour Bute.

«Mais ce qu'on vise, c'est la reconnaissance mondiale. Réelle. Et cette dimension internationale, c'est contre Kelly Pavlik que Lucian va aller l'acquérir», explique Stéphane Larouche. Pavlik est connu sur toute la planète boxe, sur tous les continents. Avec lui, on pourrait penser au Stade olympique», note Stéphane Larouche.

Précisons que Bute, lui, ne pense qu'à Edison Miranda. Miranda tout le temps. Rien que Miranda.

Mettre 40 000 spectateurs dans le Stade pour battre le record du combat Leonard-Duran, c'est un des rêves de Bute.

«Je veux me retirer invaincu. C'est un rêve. Et je veux être intronisé au Temple de la renommée de la boxe. Et je veux être heureux», dit-il.

Il est déjà heureux. Heureux au Québec qu'il adore et heureux chez lui à Galati, sa ville natale en Roumanie. Une belle ville d'un quart de million d'habitants, sur le Danube où vivent les membres du clan Bute. Il rit quand il parle de son père, un géant de plus de 250 livres et de sa famille. Le salaire moyen mensuel en Roumanie est d'environ350$ et Lucian ne se gêne pas pour envoyer des dollars aux proches. Sa blonde est roumaine et se promène entre la Roumanie, Montréal et la Floride: «Je parle à tout mon monde à chaque deux ou trois jours. Je suis très proche d'eux», précise-t-il.

Un jour, c'est certain, le «sportif de l'année en Roumanie» va se battre chez lui. Probablement à Bucarest. Leonard Dorin avait figé, incapable de surmonter la pression. Je demande à Bute s'il craint quelque chose de semblable: «Non, pas vraiment. On verrait bien», répond-il.

Ah oui, avant de l'oublier. Il adore la Floride, il adore la chaleur, il adore le soleil, il adore la mer et tant qu'à se crever à l'entraînement sous la botte de Kalesza, aussi bien que ce soit agréable.

En plein air, avec un café cubain sur le coin où on sort un café con leche qui bave sur le bord du verre de polystyrène.

Il revient à Montréal le 10 avril. Le Canadien devrait être dans les séries.

Il était passé 11h. Lucian Bute était frais et dispos après cet entraînement capable de venir à bout d'un Marine. Il avait donné une demi-douzaine d'entrevues et il relaxait près du ring du gymnase.

Deux jeunes Cubains, 18 ou 19 ans, s'entraînaient ferme avec un vétéran. Grands, secs, la dégaine foudroyante. Deux jeunes qui s'étaient enfuis de Cuba il y a quelques semaines à peine et qui avaient appris leur boxe au sein de la fédération cubaine de boxe. Une fédération qui a fourni de grands champions à la boxe amateur.

Un des jeunes a laissé partir un crochet du gauche qui avait du mordant. Lucian a appelé le coach et avec un signe, il lui a dit de faire frapper le jeune d'un peu plus bas. À mi-chemin entre l'uppercut et le crochet. Le coach a arrêté le jeune Cubain et visiblement, lui a expliqué en espagnol qui était celui qui venait de lui donner ce conseil. Lucian Bute, c'est le champion du monde des super-moyens. Ses yeux se sont éclairés, il n'a pas été capable de contenir un large sourire et il s'est relancé à l'attaque contre les mitaines de son entraîneur. La gauche est sortie, basse, avec plus de poids, percutante. Une gauche de futur champion.

C'est Lucian qui a souri.