Notre chroniqueur Réjean Tremblay s'est assis avec le «grand patron « du Canadien, Geoffrey Molson. Son enfance auprès de l'équipe, l'avenir de Pierre Boivin, le français dans l'organisation... Le plus jeune des frères Molson nous parle de lui et de sa vision du CH.

Il y a des scènes qui valent mille déclarations. L'entrevue avec Geoff Molson était terminée, le photographe avait pris une quantité astronomique de clichés, mais il manquait «la» photo.

 

On s'est donc dirigés vers la patinoire, à l'entrée de la Zamboni. Deux employés du Centre Bell étaient occupés à nettoyer l'accès à la patinoire. M. Molson s'est présenté. Les deux hommes ont fait de même et ils se sont mis à jaser avec le nouveau propriétaire. En français, évidemment.

Une demi-heure plus tôt, assis dans le salon Hartland-Molson, du nom de son grand-oncle, un ancien copropriétaire du Canadien, Geoff Molson soulignait comment le club était important pour les Québécois et les Montréalais. Comment ses frères et lui étaient conscients de leur responsabilité envers la communauté québécoise.

«Pas besoin de donner des directives, les choses vont changer, expliquait-il au détour d'une réponse. Ça va changer parce qu'on communique en français partout dans l'entreprise. C'est normal, tout le monde parle français chez le Canadien et au Centre Bell. Je veux parler français avec les employés, ils n'ont pas à parler dans une deuxième langue. Personnellement, je suis allé à l'école en français jusqu'au secondaire et je me considère comme un francophone. D'ailleurs, j'essaie de réfléchir à la question que vous posez. Est-ce qu'on pense de la même façon en anglais ou en français? Je ne sais pas. Je dirais que je pense en français de huit heures du matin à dix heures le soir. Et en anglais le reste du temps. Je ne vois pas de différence dans la pensée, mais je comprends et je ressens la culture francophone du Québec. Et je vais être un propriétaire très engagé dans la communauté québécoise.»

Ce respect et cet attachement commençaient avec deux ouvriers un peu gênés de discuter ainsi dans leur langue avec le nouveau propriétaire. Et ce n'était pas pour le chroniqueur ni pour les photographes. C'était pour deux employés dévoués à l'équipe et à l'institution.

Venant d'un propriétaire qui avait grandi à une rue du Forum. La rue Wood, tout juste à l'ouest d'Atwater.

Venant d'un jeune homme de 39 ans, père de quatre enfants, qui commence à prendre possession de sa nouvelle «maison». Une maison que la famille Molson a habitée pendant trois générations.

Je ne peux dire que je me rappelais qui était qui avec certitude. Je me souviens de trois jeunes garçons qui, le samedi matin, avaient la permission de se tenir tout près du banc du Canadien pour la séance d'entraînement d'avant-match. Geoff était le plus jeune. «J'avais 8 ans. La Brasserie Molson a racheté l'équipe en 1978. De 8 à 18 ans, j'étais toujours proche de l'équipe. J'étais privilégié puisque je pouvais être dans l'entourage immédiat de mes favoris et de mes idoles. Mais notre père établissait des règles très strictes. Il exigeait une certaine discrétion. Il n'était pas question d'aller dans le vestiaire quand les joueurs y étaient ou de déranger l'équipe. Mais j'avais le droit de rester dans le corridor devant la porte du vestiaire. Quand Mario Tremblay sortait, il me donnait toujours un coup de bâton sur la jambe. J'étais impressionné. Le Canadien et la famille Molson avaient un lien très fort. Quand la Brasserie a décidé de vendre l'équipe à George Gillett, nous nous sommes assurés de la qualité de l'acheteur. Et en gardant 20% de l'équipe, nous nous sommes assurés d'avoir accès à toute l'affaire de l'intérieur.»

C'est à St. Lawrence, à Canton, dans l'État de New York, que Geoff Molson a fait ses études collégiales. «J'y ai beaucoup joué au hockey. Avec Daniel Laperrière, le fils de Jacques, puis avec Martin et Éric Lacroix, les fils de Pierre Lacroix (président de l'Avalanche du Colorado). Ça faisait un noyau francophone dans l'équipe», dit-il.

Puis, il est allé faire un MBA à Boston et est tombé en amour avec une belle fille de la ville. Quatre enfants plus tard, la famille est installée à Montréal depuis quatre ans et coule le parfait bonheur.

Mais le jeune Geoff, dans les débuts de la vingtaine, a eu un parcours plus compliqué. D'abord chez Coca-Cola à Atlanta, vendeur itinérant; puis après, entrée dans l'entreprise Molson-Coors à Denver, au Colorado. «J'ai dû faire mes classes, c'était la condition de mon père, Eric», dit-il en souriant.

Quand la famille a appris que le Canadien pourrait être à vendre, elle a vite établi un consensus. Il fallait rapatrier dans le giron familial cette grande institution. «Mais en même temps, il fallait éviter que les émotions prennent le dessus sur la raison. Il fallait s'assurer de payer le juste prix. Je pense qu'on a réussi. Je le dis parce qu'en travaillant avec nos partenaires, on s'est assurés d'avoir la vraie réponse. Ils étaient prêts à nous appuyer et ils n'ont jamais remis en question les critères qu'on s'imposait. Ça voulait dire que c'était juste pour eux.»

Quand on parle du Canadien, les yeux de Geoff Molson s'illuminent. Il fait encore plus jeune que ses 39 ans. «Cette équipe fait partie de notre âme, de notre ADN, et je le dis en pensant à toute la collectivité québécoise. On comprend l'importance de l'équipe, on comprend aussi l'importance de gagner pour les Québécois et les Montréalais», indique-t-il.

Et il ajoute avec juste la retenue qui s'impose: «Pour les Québécois, le Canadien, c'est une religion. Toute proportion gardée, c'est comme acheter le Vatican. C'est énorme, ce que nous avons fait.»

C'est lui qui est le commandité, ou en anglais le general partner. Autrement dit, il est le grand patron. D'ailleurs, il est également président du conseil d'administration.

Il n'y a pas eu de grands mots d'ordre. Mais la vie de tous les jours chez le Canadien suit une règle qui va de soi dans la famille Molson. «Nous sommes dans la société québécoise pour contribuer à l'essor de la culture qui est déjà là. Dans l'entreprise, tout le monde est francophone. Quant au hockey québécois, sans vouloir m'immiscer dans le travail des autres, je sais que c'est une responsabilité énorme comme équipe «flambeau» au Québec, de favoriser la croissance du hockey québécois. On a embauché des entraîneurs francophones, tant à Montréal qu'à Hamilton, et on a repêché des Québécois. C'est important. Après tout, Bob Gainey est le seul directeur général bilingue dans la Ligue nationale», dit-il avec une passion contenue.

Et le cas Émile Bouchard?

«Dès le 23 juin, une journée après l'acceptation de notre offre d'achat, j'ai reçu des courriels et des pétitions. Des centaines de milliers de Québécois voulaient qu'on honore M. Bouchard. Au début, je n'étais pas conscient de son importance. Je me suis informé. Il n'y avait pas de trophée Norris à l'époque et les défenseurs des années 40, avant Doug Harvey, ne comptaient pas beaucoup de buts. J'ai compris que Butch Bouchard avait été un grand joueur dans le style de son époque. Comme M. Gillett et M. (Pierre) Boivin m'ont inclus dans leurs discussions à partir du 21 juin, on a pu en parler. Le 10 septembre, mon idée était faite. Mais j'avais différentes options. La première, ç'aurait été de dire non. La deuxième, ç'aurait été de prévoir une soirée spéciale. La troisième, c'était de choisir la fête du centenaire. Aujourd'hui, je suis certain qu'on a pris la bonne décision.» Les numéros de Butch Bouchard et Elmer Lach ont été retirés le 4 décembre dernier.

Geoff Molson est formel. Il compte sur Pierre Boivin. Il passe toutes ses journées au Centre Bell ou à s'occuper du Canadien. Il est gouverneur de l'équipe. Mais alors, que reste-il pour Pierre Boivin? Va-t-il rester président?

«Le plus important, c'est le Canadien. Pierre Boivin fait partie du Canadien. Lui et son équipe ont fait un travail énorme pour faire progresser l'entreprise. Pierre va continuer à faire son travail et à faire grandir l'entreprise. Nous, c'est ce que nous désirons. S'il le désire, nous espérons qu'il va poursuivre avec l'organisation le travail déjà entrepris», dit-il.

«J'ai déjà de lourdes obligations. Je veux m'engager au niveau de la communauté, je veux être très présent. Je dois également faire la gestion du partenariat des propriétaires. C'est un travail qui exige du temps et des efforts. Et enfin, il faut gérer toute l'entreprise. Je serai là tous les jours, toute la journée. Ça ne se fait pas tout seul, tout ce travail.»

Quant au Groupe Gillett, on travaille présentement à trouver un nouveau nom pour l'entreprise.

D'accord pour Pierre Boivin. Et Bob Gainey, lui, de qui va-t-il relever?

«C'est clair: dans la nouvelle réalité, Bob Gainey va relever de Pierre Boivin. Je ne sais pas comment ça se passait avant, mais avec moi, c'est ainsi que ça va être. Par ailleurs, je serai là tous les jours. Et je pense comprendre comment les choses se passent. Donc, Pierre reste et il comprend très bien ce qu'on désire pour l'entreprise. Et dans notre tradition, nous supportons très bien nos présidents», précise-t-il.

Ça fait maintenant 223 ans que les Molson sont établis au Québec: «Nos enfants forment la huitième génération de Molson au Québec. Le Québec de 2010 est très important pour nous. Nous avons l'intention comme famille de contribuer à son progrès. Je ne veux pas discuter politique ou religion, mais il est assuré que le Québec est une priorité. On va investir ici et on va rester au Québec. Mon frère Andrew a formé Res Publica, qui a racheté National; le Canadien est notre deuxième grosse entreprise et la Brasserie, par ses fusions et partenariats, est devenue une énorme entreprise», dit-il.

Pas mal pour un jeune homme de 39 ans. Le soir de l'entrevue, Geoff Molson s'en allait courir dans les rues de Montréal avec la flamme olympique.

Un propriétaire du Canadien qui porte le flambeau...

De quoi rêver...