Ainsi donc, Bernie Ecclestone a repris un de ses vieux trucs pour faire progresser des négociations. Laisser filtrer de l'information en se servant d'un média en lequel il a confiance.

Je connais bien le procédé. Il y a quelques années, je roulais dans le tunnel Ville-Marie quand mon portable s'est mis à sonner. À l'époque, ce n'était pas un crime de prendre son cell dans sa main. J'ai répondu. C'était la secrétaire de Bernie Ecclestone qui me demandait si j'étais disposé à parler à Mister Ecclestone.

 

Je m'étais garé au Esso à la sortie Saint-Laurent de l'autoroute pour prendre quelques notes et j'avais conversé pendant 20 bonnes minutes avec le grand boss de la F1. C'était l'époque où Ecclestone faisait des pressions pour que la Ville et les gouvernements améliorent les installations de presse et le paddock au circuit Gilles-Villeneuve. Comme ça fait quand même presque 30 ans que Bernie Ecclestone et moi nous connaissons, il se sentait en confiance. Tellement que, à la fin de la conversation, il n'avait éprouvé aucune vergogne à me dire, avec une assurance totale dans la voix: «Tu sais comment mettre de la pression sur tous ces politiciens. Tu sais ce que je pense. Ils doivent faire quelque chose pour suivre la parade.» Pour lui, c'était une opération de routine.

Un chroniqueur qui a une entrevue exclusive avec Bernie Ecclestone, même s'il est conscient d'être un rouage dans une grande machine à pression, rapporte les propos du grand patron de la Formule 1. On a beau ajouter des bémols dans le texte, Ecclestone passe quand même ses messages.

Il vient de faire exactement le même coup avec un confrère suisse. En annonçant à la planète que le Grand Prix du Canada revient à Montréal, il force le fédéral, le provincial et la Ville de Montréal à se compromettre. L'été touristique a été tellement catastrophique, le Grand Prix a tellement manqué aux commerçants montréalais, Montréal est tellement devenu un grand dépotoir de vieil asphalte défoncé que l'idée de retrouver «notre Grand Prix» devient un baume sur les plaies de la ville.

Même si Ecclestone ramasse la propriété du Grand Prix gratos au passage, qu'il conserve tous les revenus des tickets et des droits et qu'en plus, nos gouvernements crachent au moins105 millions en sept ans pour ravoir le Grand Prix...

Mais malgré ces coûts effarants, malgré cette victoire humiliante d'Ecclestone, le jeu en vaut la chandelle. Le Québec et Montréal ont trop à gagner avec la F1.

Merci, Mme Harel...

Les démentis de Gérald Tremblay, un maire en campagne électorale, ne sont que de la frime. Gérald veut passer pour un dur négociateur alors que c'est Michael Fortier qui mène le jeu depuis le mois de janvier.

Mais il est trop tôt pour confirmer officiellement que le Grand Prix revient à Montréal. Les gens risquent d'oublier leur sauveur le 1er novembre aux élections municipales. D'ailleurs, les Montréalais peuvent dire merci à Louise Harel. Raymond Bachand et Jean Charest veulent tellement éviter qu'elle s'empare de la mairie de Montréal qu'ils vont aligner tous les millions nécessaires pour être certains que Gérald Tremblay soit sacré le grand sauveur. Plus Louise Harel va être dangereuse dans les sondages, plus Bachand et Charest vont avoir le portefeuille ouvert. Et quelque part à la fin août ou au début septembre, quand les gens vont recommencer à s'intéresser à autre chose qu'à la maudite pluie qui a noyé leur été, et avant le camp d'entraînement du Canadien, c'est M. Tremblay qui va annoncer officiellement le retour de la Formule 1 à Montréal. Avec Raymond Bachand et le ministre Christian Paradis à ses côtés. Michael Fortier sera dans l'ombre.

Se fait-on complètement entuber? Sur le plan des négociations, c'est oui. Mais sur les plans sportif et économique, c'est non. Le marché est encore bon pour les amateurs de Formule 1 et pour les percepteurs de taxes et d'impôts qui vont puiser dans la manne de la F1 pour regarnir les coffres de l'État.

La FOA de Bernie Ecclestone et la FIA viennent de signer (enfin) les nouveaux accords de la Concorde. Ça veut dire la paix industrielle pour trois ans. Nous allons donc avoir droit à Ferrari, à McLaren, à Williams, à Toyota et aux nouvelles équipes de Formule 1 inscrites pour la prochaine saison et les deux suivantes. Après? Est-ce qu'on s'en sacre? Les dirigeants qui vont signer l'entente de sept ans ne seront plus là quand les sept ans seront passés. Bernie aura alors 105 ans.

Par ailleurs, même si c'est Ecclestone qui empoche l'argent de la course, François Dumontier, qui sera son organisateur local, fera du bon travail. Il a été très bien formé par Normand Legault. D'ailleurs, le simple fait que la Ville ait acheté les installations de M. Legault ne fait qu'indiquer encore plus qu'une entente est intervenue entre Ecclestone et le négociateur des gouvernements.

Et quand tout sera annoncé lors d'une conférence de presse à se péter les bretelles, Ecclestone pourra s'asseoir avec Normand Legault pour trouver une solution au différend commercial qui les oppose.

Pour Montréal, pour Québec, pour le reste du pays, pour les contribuables, pour La Presse et surtout pour les fans, je suis content.

Mais le prix reste lourd...