Pierre-Louis Lévesque est parti de Carignan dimanche avant-midi pour venir luncher au St-Hubert de Saint-Sauveur. Je m'attendais à ce qu'il vienne discuter des courses de chevaux, sa grande passion et celle de son père Jean-Louis Lévesque.

On a jasé un peu moto. Il avait une brochure de la nouvelle Indian, la légendaire moto américaine qui a été reprise par un sauveur d'entreprise à Charlotte en Caroline.Oui, il y avait une histoire de moto à venir. Mais ce n'était pas celle que j'attendais. Pas du tout. C'était plutôt une histoire de moto impliquant le Canadien de Montréal, la fondation du Canadien et un autre enfant. Un enfant de 25 ans. Patrick Deniger, dit Patman.

Le 21 septembre dernier, Pierre-Louis Lévesque est entré dans la chambre de Patrick, le fils de sa femme Lynne. Il savait que le jeune homme venait de rompre avec sa blonde, que la peine était vive et que la veille il avait pris un coup solide pour engourdir la douleur : «Il était couché sur le dos, les bras en croix, il ronflait et dormait profondément. Je me suis dit que tout devait être correct et que je parlerais avec lui à mon retour», raconte M. Lévesque... une trace d'émotion commençant à poindre dans sa voix.

Il est donc parti en moto, son autre grande passion. Il était rendu à Bighampton et s'était installé à l'hôtel quand sa famille l'a rejoint : «Reviens vite, il est arrivé quelque chose à Patrick», lui a-t-on dit.

Il a déniché un avion privé, a volé jusqu'à Plattsburgh ou des amis sont allés le chercher et à 11 heures le soir, il était à l'hôpital Notre-Dame. Patrick était dans le coma : «Les médecins ne savaient pas encore ce qui s'était passé. Ça pouvait être une overdose de drogue, n'importe quoi, comment savoir ?», de dire M. Lévesque.

On pouvait penser le pire. Patrick était le garçon le plus mystérieux de la planète. Il sortait à toutes les nuits, il buvait avec des amis sans doute, il pitonnait sur son ordinateur mais sinon, il ne faisait rien : «J'ai dû avoir cent conversations avec lui. T'as 25 ans, tu fous rien, t'es à la maison, tu vis à nos crochets, qu'est ce qui se passe ?», lui demandaient ses parents.

Il restait de bonne humeur et ne répondait pas. Il répétait que ce qu'il faisait en dehors de la maison lui était personnel. Ça ne les regardait pas.

Et voilà qu'on apprenait qu'il avait fait un ACV le matin du 21 septembre. Hémorragie cérébrale. Branché sur des machines, il continuait à «rester en vie» en attendant qu'on prenne une décision.

C'est là que Pierre-Louis Lévesque et Lynne ont eu la surprise de leur vie.

Un membre du personnel de l'hôpital est venu à eux : «Il y a des jeunes gens qui voudraient voir votre fils», leur a-t-on dit.

Ils étaient une dizaine. Des costauds, des durs, habillés un peu bum mais très polis : «Patman était notre ami. Moi, je me droguais, je volais pour payer ma dope et Patman m'a écouté, il m'a encouragé, il m'a accompagné. Sans lui je serais en prison ou je serais mort», lui a dit le plus costaud de la bande. Un autre a repris les mêmes propos. Juste les circonstances qui étaient différentes. Puis un autre et un autre...

Puis, dix autres gars et filles sont arrivés. Puis dix autres. À l'hôpital, on n'avait jamais vu autant de gens venir visiter un malade : «Ils étaient tous des amis de Patrick. Il les avaient tous aidés à traverser des épreuves, à sortir de la dope. Il en est venu au moins une cinquantaine. Ce sont eux qui nous ont dit que son rêve serait que tous ses organes servent à des transplantations. Nous avons accepté».

Le dimanche, un petit garçon de quatre ans avait reçu les cornées de Patrick et pourrait voir enfin; le foie, les reins et le coeur avaient trouvé d'autres humains à faire vivre. Patman continuait à aider ses semblables.

Au coin du comptoir du bar du St-Hubert, Pierre-Louis Lévesque parle d'une voix toute douce : «Je ne connaissais pas du tout mon gars. Sa mère non plus. On ne savait rien de lui dans le fond. On a appris que depuis au moins cinq ans, Patrick était une sorte de travailleur social bénévole ou quelque chose comme ça. Il buvait parfois trop, il se tenait au Hooter, il devait se dire qu'on était capable de le faire vivre sans que ça change quoi que ce soit dans notre train de vie, il avait choisi d'aider d'autres jeunes. C'est totalement incroyable. On a appris après sa mort ce qu'était notre gars. C'est seulement après sa mort que je l'ai admiré de tout mon coeur. C'était un ange et on le savait pas. On pensait que c'était un fainéant qui faisait jamais rien».

Patrick aimait le Canadien. C'était son équipe, c'était sa folie douce. Encore une fois, ses amis ont suggéré qu'au lieu d'offrir des fleurs, vaudrait bien mieux lancer une fondation et ramasser de l'argent pour aider les enfants et les jeunes en s'associant à la fondation du Canadien.

La bande s'est réunie une dernière fois au Hooter et on a retiré son chandail. Étrange cérémonie. Puis, une de ses meilleures amies, Jessica, a rencontré Geneviève Paquette, la directrice générale de la fondation du Canadien. Elle a obtenu un chandail de l'équipe autographié par tous les joueurs. Elle s'est mise à vendre des tickets pour un tirage.

On a déjà cueilli $10,000 pour la fondation du Canadien. Mais ce n'est pas encore assez.

Pierre-Louis Lévesque, encore bouleversé par la disparition d'un jeune homme de 25 ans qui vivait dans sa maison mais qu'il ne connaissait absolument pas, va aller plus loin. Il a envoyé sa moto à Fort-Lauderdale. Il va installer des fanions du Canadien derrière sa Gold Wing et il va parcourir toute l'Amérique du Nord en apportant de la documentation expliquant ce qu'est la fondation créée pour honorer la mort de Patrick : «Je ne sais pas encore exactement comment je vais m'y prendre pour ramasser l'argent mais je suis déterminé à tout faire pour que ça fonctionne», dit-il. Les sommes vont être redonnées à la fondation du Canadien. D'ailleurs, quand on navigue sur le site Internet de la Fondation du Canadien, on trouve un lien vers la fondation de Patrick.

C'est un voyage initiatique en solitaire de plusieurs mois qui devrait prendre fin vers le 15 juin, au moment où le Canadien va gagner la Coupe Stanley. Si la Flanelle fait les séries, bien sûr.

Une dernière anecdote avant de se quitter : «Patrick a eu son permis de conduire à 16 ans. À un moment donné, il a fallu aller chercher sa voiture à la fourrière parce qu'il avait collectionné pour $3,500 en contraventions diverses. Je me disais qu'il devait être le pire conducteur au monde», raconte M. Lévesque.

Il explique qu'on peut, grâce à Internet, avoir accès au dossier d'un proche avec les autorisations nécessaires.

Sa voix se brise encore : «J'ai vérifié son dossier de conducteur des cinq dernières années. Les cinq années mystérieuses. Tout était parfait. Rien. Vierge. Aucun ticket. Patrick avait un dossier parfait».

Tout était parfait. Et personne ne le savait.