Marlène avait le vague à l'âme hier matin. Pourtant, elle venait de besogner très dur ces derniers jours.

«C'est tranquille à matin

- Ben trop tranquille. C'est comme si on venait de vivre un rêve pis que fallait se réveiller», m'a-t-elle répondu en versant du café dans ma tasse.

Marlène est serveuse au Château Roberval. L'hôtel où les joueurs du Canadien et des Sabres ont créché pour leur match à Hockeyville. Une cinquantaine de beaux grands gars, plus les dirigeants des deux équipes, plus les gens de Kraft et de Hockey Night in Canada, ça meuble un hôtel: «Les joueurs sont tellement fins, tellement bien élevés. Des messieurs. Moi, j'ai travaillé tard mardi. J'ai fini à cinq heures puis je suis retournée à la maison», de reprendre Marlène.

À Roberval, retourner à la maison à 5 heures, ça prend six minutes si on frappe deux feux rouges sur le boulevard Marcotte. S'ils sont verts, ça se fait en quatre.

«J'étais fatiguée, c'est sûûuûûr, mais je me suis dit que je voulais pas me faire conter par d'autres ce qui allait se passer. Je me suis rhabillée et je suis allée à l'aréna. C'était extraordinaire. J'ai regardé les deux premières périodes avec le monde sur l'écran géant. On avait l'impression de participer à quelque chose d'unique. On suivait le match sur l'écran mais on savait que ça se jouait juste à côté dans l'aréna», raconte-elle, le vague à l'âme.

Elle pose trois sachets de ketchup pour les oeufs dans l'assiette et reprend sans que je ne pose la moindre question: «C'est certain que ça arrivera plus. Ils reviendront plus à Roberval, je peux pas voir comment. Faut se dire qu'on a été chanceux de vivre ça», soupire-t-elle.

Chanceux, c'est vrai. Mais les Robervalois ont tellement bien fait les choses qu'ils auront peut-être convaincu Pierre Boivin de tenter l'expérience dans une autre ville. Et dans un autre cadre, c'est certain. La porte est maintenant ouverte. C'est d'ailleurs George Gillett lui-même qui l'a ouverte toute grande en disant qu'il fallait retourner voir les «vrais fans». C'est son expression, même s'il ne faut pas négliger les fans du grand Montréal.

En fait, le propriétaire du Canadien, ses dirigeants et la plupart des joueurs ont pris conscience de la nouvelle dualité du Québec. Il y a Montréal, son côté cosmopolite, son brassage racial et linguistique, et il y a tout le reste du Québec et ses quatre ou cinq millions de francophones qui aiment et adorent le Canadien comme de nouveaux convertis.

Ils étaient plus d'un million à avoir abandonné les Glorieux pour les Nordiques, ils étaient nombreux à avoir lâché le hockey d'accrochage et brutal d'avant le lock-out; ces fidèles sont revenus au bercail avec une foi encore plus vive et plus allumée. Et ces fans ont le droit que l'organisation s'arrange pour communiquer avec eux.

RDS et CKAC font bien une partie du travail, mais ça reste des médias montréalais avec un esprit montréalais tournés vers Montréal.

La solution, on l'a vue cette semaine à Roberval. Si la montagne ne va pas à Mahomet, Mahomet va aller à la montagne. Et c'est au Canadien de faire l'effort immense et onéreux d'aller vivre une ou deux journées avec ces autres fans. Ceux qu'Oncle George a appelés «the real fans».

J'ai jasé avec Gary Bettman avant le match. Le commissaire avait les yeux d'un gamin en voyant ce qui se passait autour de lui. Pensez-vous une seule seconde que Pierre Boivin aurait le moindre petit problème à convaincre la Ligue nationale de lui permettre d'organiser un match hors concours à Rimouski, à Trois-Rivières, à Sherbrooke, à Chicoutimi ou à Rouyn-Noranda? Ben voyons donc. Pierre Boivin est capable d'être convaincant quand il le veut. Mais faut vouloir sortir de son confort Sainte-Justine, Centre Bell et quartier Dix-30.

Je ne sais pas comment ça peut s'organiser, mais ça doit s'organiser. Pour que le Canadien ne perde plus le contact avec les autres fans. Ceux qui ne gueulent pas et ne détruisent pas Montréal après une petite victoire en série contre des Bruins amochés. Ceux qui sont 7000 à fêter sous la surveillance de deux (DEUX!) policiers de la SQ debout devant leur voiture.

Mais le Canadien a dévoilé hier un plan d'implication dans la vie communautaire du grand Montéal dont il faut tenir compte. Cette initiative de construire cinq patinoires communautaires avec glace artificielle est formidable. Les chantres de la gogauche pourront toujours dire que c'est l'équivalent des puits communautaires construits dans les pays les plus pauvres de l'Afrique. Reste qu'Oncle George pourrait garder tout le cash et l'envoyer à Denver. On n'est jamais obligé de faire la charité même quand c'est bon pour l'image.

«Pis Marlène, la vie, ça va?

- Bof»