Trois autos se suivent sur la 133 à la hauteur d'Henryville, un peu passé l'épicerie Paquette, direction Saint-Jean. Un bébé minou traverse la route devant la première auto, qui passe dessus. C'est-à-dire que le minou passe sous l'auto, au milieu.

La deuxième auto, la mienne, l'évite de justesse. La troisième le frappe. C'est du moins mon impression en regardant dans le rétroviseur. La petite chose blanc et noir gît, inerte, sur le bord de la route. La troisième auto me double. Encore un coup d'oeil dans le rétroviseur - je sais, je devrais plutôt regarder devant -, oups, me semble que je viens de voir la chose blanc et noir se glisser dans les herbes du fossé. Pour aller y mourir, sans doute.

Je fais demi-tour, évidemment. Pas de sang sur le bord de la route. Je descends dans le fossé.

Y a-tu quéqu'un?

Personne.

Je vais faire ce que j'avais à faire à Saint-Jean et, au retour, bien sûr, je redescends dans le fossé.

Y a-tu quéqu'un?

Un petit pleurnichement plaintif s'élève des roseaux, mais je ne le verrai pas ce jour-là. Je vais chercher une boîte de bouffe chez Paquette. J'y retournerai les jours suivants. Pas chez Paquette, dans le fossé: de chez nous, 70 km aller-retour. Le quatrième jour, je me suis assis dans le fossé et j'ai attendu. Il a fini par montrer son nez rose...

Salut, petit nono.

Il m'a répondu en crachant. Il doit avoir 2 mois. Dès que je l'ai eu dans le creux de ma main, il s'est mis à ronronner. Là, il est sur ma table de travail tandis que je vous écris. Il vient de crisser un crayon à terre - en fait, il vient de se péter la gueule sur le plancher en essayant de rattraper le crayon. Je pense que je vais l'appeler Catastrophe.

On ne me croira pas, j'allais expressément à Saint-Jean, ce jour-là, chercher à la librairie Moderne un album de photos que ma fiancée avait feuilleté l'autre fois sans l'acheter. Le titre, je vous le donne en mille: Chats. Tout simplement: Chats. Ce sont les seuls bijoux que j'aie jamais offerts à ma fiancée, des livres sur les chats. Les textes de l'album sont extraits du livre d'Anny Duperey, Les chats de hasard... peut-être pas le plus littéraire des livres écrits sur les chats, mais assurément le plus émouvant. Le plus littéraire? Puisque vous me le demandez, dans Le Livre de poche, sûrement épuisé, Le chat dans tous ses états, de Jean-Louis Hue.

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PAS SI INCROYABLE - Je n'ai pas été si triste de la défaite du Brésil. J'aime bien les Brésiliens, mais, si l'on parle football, je trouve qu'ils vivent sur une réputation qu'ils ne justifient plus depuis des années. On est loin des artistes du «beau jeu», de la «samba futebol» de jadis. Fait longtemps qu'ils ont délaissé les effets de style pour une efficacité rugueuse (à l'image du foot sud-américain en général, Colombie, Uruguay en particulier). Fait longtemps que les Brésiliens n'écrivent plus de poèmes avec leurs pieds.

En fait, dans ce match pas si incroyable, les Allemands ont joué ce football inspiré que les touristes qui n'entendent pas grand-chose au foot prêtent encore aux Brésiliens. Les Allemands étaient en état de grâce. Sept buts d'anthologie, la désorganisation de la défense brésilienne, d'anthologie elle aussi, facilitant la chose. Il en va souvent ainsi dans le sport, et peut-être pas seulement dans le sport: l'exploit naît d'une brèche, d'une rupture, comme la lumière qui passe à travers les fissures, that's how the light gets in, merci Leonard...

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UNE COURSE ENFIN - Petit tremblement de terre aussi dans le vélo, hier. On avait annoncé une cinquième étape du Tour de France meurtrière, sur les pavés et sous la pluie, elle le fut: abandon du grand favori Chris Froome avant même les pavés et, sur les pavés même, contre-performance de l'autre grand favori, Alberto Contador, qui cède deux minutes et demie à l'Italien Vincenzo Nibali.

Nous voilà donc avec un nouveau favori, ce Sicilien surnommé - on se croirait à la lutte Grand Prix - surnommé le Requin de Messine. Franchement! C'est tellement con, le vélo, des fois, tellement bande-dessinée-pour-attardés... Je ne parle pas de la course, je parle du fond de l'air, des revues de vélo comme Vélo, justement. Je parle des abrutis sur le bord du chemin qu'on voit courir à côté des coureurs et qui, dernière tendance, se prennent en photo (selfies) quand passe le peloton.

Pour revenir au Tour, l'abandon du grand favori (Froome) et le passage à vide de l'autre favori (Contador) sont plutôt de bonnes nouvelles: voilà la course libérée avec maintenant une douzaine de coureurs lancés à la poursuite de Nibali, dont deux petits Français, deux petits Américains et aussi Valverde, Porte, Da Costa...

Fait combien d'années qu'on n'avait pas eu de course?

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PÉPÈRE LA VIRGULE - Mon collègue Vincent Marissal a relevé dans sa chronique de mardi les «quand qu'on» et les «ça l'a» de la ministre de la Famille, Francine Charbonneau. Hélas, hélas, la lalaïsation, cette affection toute québécoise de la langue - et non du langage, je parle bien ici de l'organe - est en passe de devenir endémique.

La chose a commencé avec les ados, qui ont contaminé leurs parents. Aujourd'hui, c'est le Québec tout entier qui lalaïse à tout va. Pas une entrevue à Radio-Canada sans son «ça l'a». Des ministres, des profs, des scientifiques, des journalistes - oui madame, des journalistes -, des gens qui, le plus souvent, parlent un français limpide et, soudain, cette scorie, cette rognure qui leur tombe de la bouche: ça l'a, ça lala...

Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens, en entrevue avec Isabelle Richer: «Il faut le dire, ça l'a fonctionné.» Et d'insister: «Ça l'a très bien fonctionné.» Et d'insister encore un peu plus loin: «Ça l'a marché.»

On avait compris, docteur. Ce que l'on comprend moins, c'est que vous parlez par ailleurs un français irréprochable. On dirait que c'est physique, la langue vous colle soudain au palais pour aller chercher ce «L» et son incongrue apostrophe...

Faites ha, nous disait le médecin quand on était petits pour nous regarder les amygdales. Faites ha vous aussi, docteur.

Ça ha.