Vous me connaissez, toujours le verre à moitié vide, vous me dites Académie française, je vous signale aussitôt que Baudelaire n'en a jamais été, ni Flaubert, ni Stendhal, ni Dumas (le vrai, le père), ni Proust, ni Maupassant, ni Balzac, ni Kundera, ni Modiano, ni Leys, ni Echenoz...

Mais Hugo, si. Et maintenant Dany Laferrière.

J'ai d'abord cru à une blague. Dany Laferrière à l'Académie? Ce ramassis de vieux croûtons? De vieilles badernes?

Ayant dit vieux croûtons et vieilles badernes, vous m'auriez demandé, à ce moment-là, d'en nommer un seul, j'en eusse été bien incapable. Alors pourquoi vieux croûtons et vieilles badernes si je ne les connais pas? Parce que c'est comme ça qu'on dit. Cela s'appelle un préjugé.

J'ai fini par aller voir la liste des nouveaux petits amis de Dany. Ciel et pattes de gazelle que c'est con, mais que c'est donc con, les préjugés. J'en suis presque tombé en bas de ma chaise, ou, pour parler comme le dictionnaire de l'Académie: mes yeux se sont soudainement dessillés.

René Girard le philosophe, un vieux croûton? Danielle Sallenave, Dominique Fernandez, Angelo Rinaldi, Maalouf, Simone Veil, Fumaroli? Si ceux-là sont des vieux croûtons, alors Daniel Pennac, c'est quoi?

Tu permets, Dany, que je te charge de quelques messages? D'abord, tu vas aller voir Danielle Sallenave. Tu vas lui dire que tu connais un gars à Montréal qui se roule à terre depuis des années pour lui embrasser les pieds. Dis-lui que j'ai relu ses Carnets de route en Palestine occupée chaque fois que je suis allé en reportage, pour le ton, pour l'engagement, pour les premières pages, quand elle est dans l'avion, quand elle parle de l'incertitude qu'apporte le savoir, et de la force qu'apporte l'ignorance. Embrasse-la, elle m'a appris à voyager (elle et Maspero). Oh, j'allais oublier, dis aussi à Sallenave que lorsque j'écris une chronique sur l'éducation et que je me fais traiter de vieux con par les pédagogues du Ministère, pour me remettre du pep-dans-le-toupette, je retourne en courant à ses Lettres mortes, mortes parce que trahies par les pédagogues, justement.

L'autre des 40 que je te charge de remercier absolument, c'est Dominique Fernandez pour le Voyage d'Italie. Remercie-le surtout pour Naples, pour Umberto Saba, pour Primo Levi, pour la fureur de Fellini envers les Italiens: «Pourquoi suis-je né dans un pays aussi stupide?» Aussi pour cette réflexion sur les musées: «La tyrannie des musées d'art est de rendre insensible le visiteur à tout ce qu'on ne lui dit pas de regarder.»

Ça ne l'intéressera peut-être pas, note à Fernandez que c'est le dernier livre que j'ai volé (j'ai volé des livres longtemps), celui-là dans une librairie d'aéroport, un bien mal acquis qui m'a profité énormément.

Salue aussi François Weyergans, dis-lui que je ne sais plus en quelle année je l'ai croisé chez Gallimard, boulevard Saint-Laurent, il était avec une journaliste du Voir, je n'ai pas osé les déranger, je n'ai pas lu Royal romance, qui se passe à Montréal, je crois bien que je n'ai jamais rien lu de Weyergans, ou j'en ai lu et je ne me souviens plus, sois délicat, c'est un monsieur très gentil.

Demande à Angelo Rinaldi, qui l'est beaucoup moins (gentil), Rinaldi que j'aimais tant comme critique littéraire à L'Express puis au Nouvel Obs, demande-lui combien de lecteurs, selon lui, ont terminé son dernier roman Les souvenirs sont au comptoir? Un demi-pour cent de ceux qui l'ont acheté? Demande-lui aussi s'il se souvient avoir déjà écrit (parlant d'Emmanuel Bove): «L'oubli où sombrent certains auteurs n'est pas toujours inexplicable...»

Tu peux dire aussi à Marc Fumaroli que je l'ai lu quelques fois dans Le Monde, c'était toujours des articles sur la culture, il disait que la culture, miam miam, c'est du bonbon pour les élites, quant au peuple, qu'il nous fasse pas chier, le peuple, il a les loisirs de masse pour se distraire. Mais peut-être que j'ai compris tout de travers, c'est un peu comme lorsque je lis un papier sur la littérature dans la revue Liberté, je comprends pas tout à tous les coups... Parlant de Liberté, j'ai hâte de lire leur papier pour te féliciter...

Dis à Amin Maalouf, le Libanais des Identités meurtrières, qu'il est très populaire au Québec ces jours-ci, où s'empressent de le citer tant les tenants d'une laïcité ouverte que les tenants d'une laïcité tout court. Mets-toi chum avec, pis une bonne fois, au moment où il ne s'y attendra pas, mettons vous allez pisser ensemble, cout'donc, Amin, c'est bien ce que tu dis dans Les identités meurtrières, mais cela étant dit, on fait quoi?

Pour finir, ma belle-soeur m'appelle ce matin, elle me dit, tu connais Laferrière? Bref, elle veut que tu dises à Maurice Druon qu'elle a lu tous les Rois maudits et qu'elle a beaucoup aimé, et elle voudrait savoir: est-ce qu'il va y en avoir d'autres? Je te laisse le numéro de ma belle-soeur. Dis-y pas que Druon est mort.

Parle-moi de René Girard le philosophe, de Simone Veil, de Frederic Vitoux (je vois qu'il aime les chats), de tous les autres que je ne connais pas. Tu sais ce qui serait vraiment bien, Dany? Ce serait bien que tu fasses le portrait des Académiciens comme le fit en son temps Barbey d'Aurevilly, à une époque où siégeaient à l'Académie des gens comme Hugo, Mérimée, Lamartine, Sainte-Beuve, Vigny... C'est un petit livre de rien, ça s'appelle L'Académie, ç'a été publié chez Pauvert il y a 50 ans, c'est incroyablement méchant, je te le laisse chez Françoise, si tu veux...

Bref, tu fais les 39 portraits, et moi, je fais le tien.

J'allais oublier de te féliciter. Je t'avoue, sur le coup, je n'ai pas très bien compris pourquoi pas ton ami Victor-Lévy Beaulieu? Ou Michel Tremblay? Ou, si on voulait faire dans le très littéraire, Marie-Claire Blais? Après, ils ont expliqué, Haïti, Québec, tout ça, OK, ça va. Je t'embrasse.