Samedi, j'ai fait un truc que je ne fais jamais dans la vie: j'ai pédalé pour une cause.

Ça s'est goupillé drôlement. Je suis voisin du Domaine du Ridge, le vignoble de Denis Paradis, l'ex-député libéral. Bon, son vignoble, je m'en fous, je ne bois pas de vin, comme je vous l'ai déjà dit, mais juste à côté de sa maison, il y a deux cerisiers qui, vers la mi-juillet, donnent des petites cerises aigrelettes pas très bonnes à manger, mais qui font des confitures écoeurantes. Après les confitures de mirabelles, celles de cerises sont mes préférées. Bref, je n'ose pas aller demander au député: est-ce que je peux cueillir vos cerises? Ce sont les oiseaux qui les mangent.

Cette année, le député est venu frapper à ma porte, un soir: je vous laisse cueillir mes cerises, en échange, vous viendrez participer au Juritour pour la fibrose kystique le 21 septembre.

Je ne sais tellement rien de la fibrose kystique que toute la semaine dernière, je disais à tout le monde que, samedi, j'allais rouler pour la dystrophie musculaire. Pour vous dire, je ne savais même pas que la nièce de Céline Dion était morte de la fibrose kystique.

Le Juritour donc, une première. Juri comme dans juridique, parce que la randonnée réunissait surtout des avocats, avocates et dérivés, parajuristes, notaires, juges, etc. L'idée de cette randonnée est venue du directeur général du Barreau du Québec, Claude Provencher, dont la fille Cloé est atteinte de fibrose kystique. Denis Paradis, ex-bâtonnier du Québec, a accueilli tout ce beau monde dans ses vignes. Le ministre de la Justice, Me Bertrand St-Arnaud, a donné le départ flanqué du député de Laval-des-Rapides, Léo Bureau-Blouin, qui représentait la première ministre, et me voilà à rouler avec tous ces avocats et avocates, en queue de peloton bien sûr, comme le commande mon grand âge.

J'ai passé toute la première moitié de la randonnée à "cruiser" la bâtonnière de Laval, qui roulait sur un vélo pas du tout en carbone, je crois même que le cadre était en béton et elle avait un panier devant, je l'ai appelée madame Panier toute la journée. J'ai "cruisé" bien des drôles d'affaires dans ma vie, mais une bâtonnière sur un vélo avec un panier devant, c'est la première fois...

Votre mari n'est pas là?

Y'a pas de mari.

Ah ben.

Il a soufflé toute la journée un vent du diable, des rafales qui donnaient des allures d'Alpe d'Huez au moindre faux plat du chemin Saint-Armand. Je suis une contemplative, me disait madame Panier avant le départ, il me semble pourtant qu'elle a plus donné dans la douleur que dans la contemplation. Je ne sais trop ce qui m'étonne le plus dans ce genre de randonnée qui rassemble des gens de niveaux très différents: la performance des tout-carbone ou le sens du sacrifice des madames Panier. En tout cas, à la fin, leur bonheur est égal. Le vélo est un grand égalisateur de bonheur.

Après la halte du lunch, j'ai roulé avec Émilie, une toute jeune avocate, et son papa dans la soixantaine, quincaillier à Saint-Lambert. Nous étions sur les petites routes qui avoisinent la frontière, le papa n'arrêtait pas de dire comme c'était beau tout ça et j'en étais bêtement fier, comme un propriétaire que l'on félicite de son domaine. Nous étions sur les chemins qui avoisinent la frontière. L'automne qui vient d'arriver commence à roussir les collines, tandis que les vinaigriers sont au plus éclatant de leur flamboyance.

Je suis rentré seul par des chemins où ne vont pas les touristes maculés de la boue des moissonneuses qui récoltent déjà le blé d'Inde.

Tu t'es pas trop embêté?

Pas du tout, mon amour. Les gens sont gentils avec moi, t'imagines pas. Et puis, j'ai rencontré une bâtonnière formidable.

Rousse?

Non. Mais elle avait un vélo avec un panier devant.

Qu'est-ce qu'il y avait dans son panier?

Rien.

Le Juritour s'était fixé un objectif de 50 000$, il en a ramassé plus de 100 000. J'y serai l'an prochain un peu pour la fibrose kystique, un peu pour la bâtonnière de Laval, beaucoup pour les cerises.

À l'école où j'enseigne...

C'est un prof qui m'écrit (et à plusieurs de mes collègues en même temps), Patrick Lagacé qui s'est déjà invité dans sa classe de musique me dit que c'est un super prof. Anyway...

À l'école où j'enseigne, j'ai une élève de 11 ans qui porte le voile. Yasmina. Elle ne chante pas vraiment bien, mais elle aime chanter. L'an dernier, pour le spectacle avant le congé des Fêtes, Yasmina a répété une chanson avec trois de ses amies. Je l'ai fait travailler et à la fin Yasmina ne chantait pas beaucoup mieux, mais c'était mignon. Surtout, elle était très contente - elle aime vraiment beaucoup chanter. À trois jours du spectacle, bouleversée, elle vient me voir:

Je ne pourrai pas chanter au spectacle, mon père ne veut pas.

Veux-tu que je téléphone à ton papa?

Vous ne pouvez pas, il est en Afrique, on se parle sur Skype.

Je lui ai dit : bon tu ne chanteras pas au spectacle, mais pendant mon cours de musique, tu vas chanter. C'est ma classe. Dans ma classe, tous les enfants chantent.

Rassurée, elle m'a dit: oui c'est vrai, c'est votre classe.

Quelques mois plus tard, second spectacle. Celui de fin d'année. Yasmina n'a pas pris de chance. Elle n'en a pas parlé à son papa toujours en Afrique. Elle venait aux répétitions avec les parents d'une amie. Au spectacle elle a chanté très fort au micro (mais pas beaucoup mieux). Et elle a dansé avec ses amis devant 450 parents d'élèves.

Cette petite histoire n'est pas une fiction.

Elle n'est pas non plus aussi banale qu'elle en a l'air.