On a ri des ayatollahs de l'Office québécois de la langue française (OQLF) qui veulent remplacer steak par bifteck, pasta par je ne sais quoi et autres corrections ridicules. On a ri parce que c'est drôle, mais j'aimerais ajouter qu'il y a là autant à pleurer, peut-être même plus à pleurer qu'à rire.

La question s'adresse aux inspecteurs de l'Office: ça vous amuse de donner des munitions aux anglos? Déjà, ils sont convaincus que vous êtes des flics - la police de la langue. Était-ce bien nécessaire de leur confirmer que non seulement vous êtes des flics, mais des flics idiots? Même le National Post n'osait pas vous imaginer aussi hystériques.

Si j'étais du genre à donner dans les complots, savez-vous que je vous soupçonnerais de sabotage? Vouloir tourner en dérision les lois et règlements linguistiques du Québec, c'est exactement comme ça que je m'y prendrais: en exigeant qu'on dise bifteck au lieu de steak, qu'on dise pâtes alimentaires au lieu de pasta, soupe aux légumes au lieu de minestrone.

Ce qui fait pleurer après avoir fait rire, c'est que ces dérapages discréditent l'OQLF, chargé de faire appliquer des politiques linguistiques dont dépend, in fine, la survie de notre langue et, au-delà de la langue, de la culture. C'est hyper important, c'est aussi délicat, compliqué. Bref, on est dans un magasin de porcelaine, ce n'est pas une bonne idée d'y faire entrer des connards d'éléphants.

Ces dérapages, le Mouvement Québec français les attribuait hier... aux médias! Cela n'a pas été dit, mais je crois l'avoir entendu quand même: il y a sûrement du Power Corp là-dessous.

C'est pas les médias, nono. C'est la tatane au bifteck. Elle ferait capoter à elle toute seule - s'il n'était pas déjà mort-né - le projet de loi 14 qui se propose d'imposer le français comme seule langue de travail dans les commerces de plus 26 employés (50 présentement). Beaucoup plus important, le projet de loi 14 imposerait un examen de français aux élèves anglophones à la fin du secondaire et du cégep. Et plus important encore, le projet de loi 14 remettrait en question encore une fois le statut bilingue des municipalités qui comptent moins de 50% d'anglophones.

Il est là, le beef. Pas dans le steak ou le bifteck. Dans le renforcement du statut du français. Il est aussi, le beef, dans la dénonciation du bilinguisme officiel, cette tarte à la crème de la paix linguistique. Je t'aime, I love you. Et mon cul, c'est du poulet? And my ass? Is what? Chicken?

LA COULEUR DU TEMPS - J'ai mal à mon Italie - mais oui, j'ai voté -, j'ai mal à mon Italie qui a presque ramené Silvio Berlusconi au pouvoir et donné tant d'importance à ce Beppe Grillo qui a la haine de l'Europe. On dit du Coluche italien qu'il est plus de gauche que de droite. Je l'ai entendu une fois dans un discours-fleuve, et ce type-là n'est ni de gauche ni de droite, il est du fond du baril. Dans ce discours-là, il fouaillait l'ordure, pipi, caca, bite et con. Les gens, une foule énorme, en redemandaient, bien sûr.

J'ai mal à mon Italie, mais bon, pas tant que ça, j'ai l'habitude. Je ne connais pas d'autre pays où la beauté est aussi intimement liée à l'ordure, la bêtise au raffinement, la poésie au ricanement; de pays qui a accouché de plus de potentats, mais qui a aussi donné Trieste au monde, Trieste et Umberto Saba: «La couleur du temps n'est pas donnée par les événements du jour.»

La couleur de l'Italie non plus.

LA VICTIME - Texte troublant dans les pages opinions de La Presse de mardi: une jeune femme de 29 ans raconte le hold-up dont elle a été victime dans un Dunkin Donuts alors qu'elle avait 16 ans. Trois hommes cagoulés défoncent une porte à coups de hache pour s'emparer du coffre-fort sans cesser de la menacer. «J'ai fait des cauchemars pendant des années, incapable de me promener dans les rues, d'aller au restaurant, revivant constamment cette nuit de terreur... Mes agresseurs ne savent pas à quel point ils ont détruit en partie ma vie en quelques minutes cette nuit-là...»

À la fin de son histoire, qui est presque aussi la fin de l'article, changement soudain de registre: «Les gens qui ont une mauvaise opinion des policiers pour l'arrestation musclée de Trois-Rivières devraient s'attarder à mon histoire... L'agresseur n'est jamais une victime, il - le jeune homme de Trois-Rivières - se remettra de ses quelques bleus...»

Je viens de revoir la vidéo de l'arrestation du jeune bandit de Trois-Rivières, il est allongé sur le sol, les bras en croix, quatre flics foncent dessus, le frappent sauvagement à coups de botte, à coups de poing, le tabassent sans aucune raison que le plaisir de tabasser et, évidemment, leurs rapports disent que le suspect a résisté.

La jeune femme juxtapose son histoire à celle-ci d'extrême violence policière. Ne pleurez pas, nous dit-elle, c'est rien qu'un bandit. Moi, je suis une victime, pas lui.

Mettons, mademoiselle. C'est pas une victime. Donc on a le droit de le tuer à coups de pied?

C'EST MONTRÉAL AUSSI - Un quartier où je ne vais pas souvent. J'entre dans cette épicerie disons ethnique... sûrement juive, me dis-je, c'est quoi ça?

Des galettes de pommes de terre, me répond le monsieur derrière le comptoir.

Mettez-m'en quatre. C'est juif?

Non, monsieur, c'est pas juif. C'est allemand. Les juifs nous l'ont volé - comme le reste! - mais c'est allemand...

Comme le reste?

Tout d'un coup, je le vois pâlir. Vous êtes juif? me demande-t-il.

Je l'ai laissé mariner sans répondre. La prochaine fois, ducon, je la nomme, ta crisse d'épicerie. Les galettes étaient bonnes, au moins ça.