Comme si notre actualité au Québec n'était pas assez lourde d'infanticides, il a fallu qu'à quelques heures de voiture d'ici, dans une école primaire d'une petite ville du Connecticut, un tueur abatte 20 enfants de 5 à 10 ans, 26 victimes en tout.

À la télé, Obama pleurait. Il venait de dire qu'il allait bien falloir faire quelque chose, prendre des mesures pour enrayer toutes ces tueries dont les victimes sont souvent des enfants. Il n'a pas été plus précis, ce n'était pas le moment de faire de la politique.

Les chiffres font peur. Autour de 30 000 personnes sont tuées chaque année aux États-Unis par des armes, dont 3000 enfants.

Mais ce qui fait encore plus peur, c'est de penser que le contrôle des armes n'empêcherait sans doute rien. Il existe déjà des lois fédérales qui interdisent la vente d'armes automatiques et rendent assez compliqué l'achat des semi-automatiques. Hier, le tueur de 20 ans s'est servi de deux revolvers semi-automatiques (et on a trouvé un fusil d'assaut dans sa voiture).

Ce ne sont pas les armes qui tuent, ce sont les gens, aime marteler la National Rifle Association (NRA). Étonnamment, le documentariste Michael Moore (Bowling for Columbine) est à moitié d'accord avec la NRA. Il est cité ici dans le Courrier international, numéro hors série sur les élections: «Je modifierais légèrement le discours de la NRA: les armes ne tuent pas les gens, ce sont les Américains qui tuent les gens.»

Les Américains? Marc Lépine, pas vraiment, celui de Dawson non plus, Breivik le Norvégien non plus. Celui de l'Université de Virginie, la tuerie la plus meurtrière dans une école aux États-Unis, en 2007, était coréen.

C'est pas les armes, pas seulement. C'est pas juste les Américains. C'est pas l'Amérique non plus. Qui, alors?

Si je vous dis ce sont des fous, vous allez me crier des noms: on sait bien, y a jamais personne de responsable, avec vous.

Holà, ne lisez pas plus loin, cette chronique n'est pas pour vous.

L'opinion publique

Un type tue ses deux enfants parce que sa femme l'a quitté. C'est le fond de l'histoire. Faut-il être fou pour en arriver là?

Oui, a dit le jury. Douze citoyens ordinaires ont jugé que le type avait tué dans un moment de folie passagère exacerbée par l'intoxication de lave-glace. Ils ont jugé qu'il ne pouvait être tenu responsable de son crime.

Je n'ai pas applaudi au verdict, j'ai applaudi au courage de ces 12 personnes ordinaires, saisies d'horreur comme vous et moi par le crime de ce type, mais justement, un crime si monstrueux que selon eux (selon moi aussi), il ne pouvait avoir été commis que dans un moment de démence.

Peut-être ont-ils erré. Et moi avec eux. Peut-être que, lave-glace ou pas, le type est coupable d'avoir haï sa femme à ce point-là. Peut-être, comme l'exposait mon collègue Boisvert hier, que la non-responsabilité est habituellement accordée aux meurtriers qui ont des maladies mentales ou des délires graves diagnostiqués avant le crime.

Peut-être les jurés ont-ils erré: je les applaudirais alors quand même d'avoir osé, en toute conscience et liberté, d'avoir osé aller contre l'opinion publique.

Même quand la justice se trompe, elle ne se trompe pas tout à fait quand son verdict va contre l'opinion publique. Cette grande bête d'opinion publique.

Écoutez-la, ces jours-ci, l'opinion publique. Le monstre vient de lui échapper et elle jappe, et elle tire sur sa laisse. Vous voulez que je vous fasse lire mes courriels? Le mot justice y apparaît 123 457 fois. Il n'y est pourtant question que de vengeance.

Bien sûr, le gouvernement Harper n'allait pas rater une si belle occasion de se faire valoir en rappelant qu'il a dans ses cartons un projet de loi qui redéfinira les critères de mise en liberté des accusés jugés non criminellement responsables. O.K., t'es pas responsable, mais tu ne sors pas avant 15 ans pareil.

Les plus malins me diront: vous en avez contre l'opinion publique, comment expliquez-vous que ces 12 jurés, dont vous saluez le courage ce matin, en sont forcément issus?

J'explique que c'est la meute qui rend le loup fétide et carnassier.

Le mur budgétaire

Savais-tu que la dette des États-Unis est en ce moment de 16 000 milliards et qu'elle sera de 21 000 milliards en 2017?

Oh là là!

Je savais que t'allais dire ça.

Que j'allais dire quoi?

Oh là là. C'est automatique, t'entends milliard: oh là là! Qu'importe le nombre devant, 1, 2, 3, 500 milliards, c'est milliard: oh là là! Un milliard de lapins, oh là là! Les lapins! Un milliard de Luxembourgeois, fiou, y en a beaucoup.

Un milliard de Luxembourgeois, ça s'peut même pas, niaiseux!

C'était juste pour voir si tu suivais. Savais-tu qu'en 2012 le gouvernement fédéral américain a payé 223 milliards juste en intérêts sur sa dette? C'est presque le budget du Canada (283 milliards). Tu dis pas oh là là? Savais-tu que...

Tu vas pas me gonfler un samedi matin avec le budget des États-Unis? Si? C'est à cause d'Obama et des républicains?

Laisse-moi finir ma question. Savais-tu que ces 223 milliards payés en intérêts sur la dette représentent seulement 6% du budget total des États-Unis (3717 milliards)? Et que, s'il fallait retenir un chiffre pour se rassurer, ce serait sans doute celui-là: seulement 6% du budget?

Pour se rassurer?

Je veux dire que la situation n'est pas désespérée. C'est pas la Grèce. Obama a un plan pour réduire le déficit, et les républicains aussi ont un plan. La différence, c'est qu'Obama veut réduire le déficit en sabrant les dépenses militaires; les républicains veulent sabrer l'État. Moins d'États. Obama veut augmenter les impôts des plus riches; les républicains veulent sabrer Medicare.

Ah ah! Dans le pays le plus puissant du monde se dessine un combat enfin décisif entre la droite et la gauche?

T'as rien compris. Le combat décisif qui s'annonce, c'est un combat entre la droite et la droite. Et devine? C'est la droite qui va gagner.

N.B. Je serai absent toute la semaine prochaine, mais je reviens passer Noël avec vous, parce que je vous aime.