J'avais terminé cette chronique-là, récente, par un flash sur les citations. Je relevais qu'on adhère moins au sens des citations qu'à leur clinquant et leur musique. Cela venait d'ailleurs de m'arriver. Une citation de Fernand Seguin, envoi d'un lecteur qui travaillait, ai-je cru comprendre, au montage d'une émission souvenir sur l'animateur du Sel de la semaine. La citation: «Le véritable enseignement est avant tout non pas la transmission de connaissances, mais la transmission de la joie de connaître.»

J'en ai tiré une copie qui a traîné un mois sur mon bureau, je la relisais chaque fois que je la déplaçais, jusqu'au jour où cela m'a frappé en plein front: cout'donc, je ne suis absolument pas d'accord avec ça! C'est même exactement le contraire de ce que je pense! La joie de connaître, mon cul. Bien sûr que tout le monde applaudit! Transmettre de la joie plutôt que de l'algèbre ou que la règle de l'accord des participes passés des verbes accidentellement pronominaux est tout à fait dans l'ordre du temps.

Exactement le genre de bullshit à laquelle vous adhérez comme une moumoute adhère sur le crâne d'un chauve. Vous avez été deux millions - disons deux douzaines - à me houspiller: Foglia, bougre de ceci cela, il n'est pas d'autre façon de transmettre les connaissances (et donc la culture) que dans la joie.

Un lecteur (Pierre Gendron) ravi de me tenir par la barbichette sur ma propre bicyclette: «Dites-moi, M. Foglia, faire du vélo pour y aller ou pour avoir le plaisir d'y aller?»

Pour le plaisir d'y aller, monsieur. Mais aller où? Le tour du bloc? Où un aller-retour Jay Peak, une centaine de kilomètres et trois ascensions?

C'est très simple, monsieur. Si je me fais pas chier cet hiver à rouler dans mon sous-sol (zéro plaisir, même triple zéro), le printemps prochain je ne pourrai pas aller à Jay pour le plaisir d'y aller. Par contre, je pourrai faire le tour du bloc. Avec plaisir, absolument, je vous ostine pas là-dessus: mais c'est juste le tour du bloc, au mieux vingt kilomètres pépères sur une piste cyclable.

La culture, c'est exactement pareil. Soit la piste cyclable. La grande séduction, le titre le dit, le film a été fait exprès pour te séduire. Tu seras même pas fatigué.

Soit l'aller-retour Jay Peak, 100 kilomètres, trois ascensions. Laurentie. Un film sur la solitude. Le héros a des amis, une blonde (rousse à part de ça), des collègues de travail, des parents dans le bas du fleuve, pourtant sa solitude est une des plus grandes jamais montrées au cinéma, même dans les films de Buñuel, il n'y a pas de solitude comme celle-là. Ça fait trois fois que je loue Laurentie. Je n'ai encore pas tout vu.

La transmission de la joie de connaître, c'est l'esprit de la Réforme de 2001. L'acquisition de ce savoir-agir (les compétences) pour «maximiser son potentiel» dans la joie, bien sûr. Si je ne me trompe pas, la Réforme identifie neuf compétences transversales essentielles, dont une qui me fait venir le poil tout droit sur les bras: le jugement critique. Critiquer quoi? Avec quels outils? En se référant à quoi? Ils ne savent rien de l'histoire de la philo, des grands courants littéraires, c'est leur iPad qui sait tout à leur place.

C'est comme donner une bicyclette à des culs-de-jatte. Ils n'iront pas à Jay, non plus sur la piste cyclable.

Transmettre la joie de connaître? Elle va de soi, elle vient toute seule quand on s'est d'abord fait chier à étudier au sous-sol. Elle va de soi quand on a les outils, les références, cette culture générale forcément un peu encyclopédique, un peu bourrative au début, ce savoir de fond, ce savoir de sous-sol, j'insiste, zéro plaisir, que du travail et de la discipline. Sans culture générale, ils ne monteront jamais Jay Peak, referont toute leur vie le tour du bloc.

Pour revenir au jugement critique, pourquoi faire éditorialiser des étudiants de 15 ans sur n'importe quoi, n'importe comment? Ce faisant, on leur transmet quoi? Je vais vous le dire: on leur transmet l'idée détestable que tous les points de vue sont égaux. Ce qui est exactement l'envers de la culture.

Non, la culture n'est pas de capoter sur Laurentie comme je suis en train de le faire. La culture, c'est cet aride entraînement au sous-sol qui dure toute la vie, ce fond dont se nourrit la curiosité. La culture, c'est l'effort d'aller au bout de Laurentie la première fois, l'effort d'y revenir et alors oui, la joie.

Ce qui est presque criminel dans cette idée ridicule de transmission de la joie de connaître, c'est qu'elle ne vient pas comme une récompense, mais comme le moyen d'accéder à la culture. Comme le canal qui y mène. Bullshit. Rien n'arrive par la joie, le plaisir, le rire, le jeu, l'humour, l'humeur, la citation, sauf une débile euphorie perpétuelle.

PÉPÈRE LA VIRGULE «La faute d'orthographe que vous nous avez signalée a échappé à notre équipe», s'excuse Radio-Canada Alberta, qui poursuit: «Les pièges de la langue française représentent des défis dont nous sommes conscients», blablabla... Légé pour léger, un piège? Vous vous moquez? Moquâtes? Moquassiez?

Celle-là, relationniste de presse du groupe Librex - éditions Libre Expression, Trécarré, Stanké, etc. -, nous informe par communiqué que l'auteure France Gauthier ce marie. Attention, ici aussi, piège.

Je parlais l'autre jour d'une malencontreuse coquille dans un journal rimouskois qui rebaptisait La Dérouille une maison pour femmes battues (au lieu de La Débrouille). Un lecteur qui se défend de faire de l'humour sur un sujet qui s'y prête si peu nous signale tout de même que la Société canadienne d'hypothèques et de logement gère un programme de maisons d'hébergement pour femmes maltraitées nommé Deuxième étape. Mais pour faire plus court, tout le monde dit L'étape.