Je vous voyais tout énervés, les fesses sur le bout du siège, quelle soirée palpitante... Pas ici, à La Baie. Ni à côté, à Chicoutimi. Ni à Roberval. Ni à Jonquière. Ni à Alma. Les cinq circonscriptions du Saguenay-Lac-Saint-Jean ont voté péquiste comme d'habitude. Ou presque. Il y avait un libéral dans Dubuc, Serge Simard: balayé. Un ministre, en plus. Et un bon monsieur. Ah si: je l'ai rencontré mardi midi.

Ces gens-là, les Bleuets je veux dire, se sont fait un pays ça fait longtemps. Vous allez voir qu'ils vont finir par installer des postes de douane sur la 175 et à la sortie de Sainte-Rose-du-Nord, de Saint-Félix-d'Otis et de Lac-Bouchette.

Je vais revenir ici pareil, pédaler sur la piste cyclable de la magnifique baie des Ha! Ha!, hier sous un petit ciel gris de fin d'été. C'était presque l'Italie des lacs du Nord.

Ah non, ah si, j'ai travaillé aussi. Je suis allé voir les gens voter.

Celle-ci, tiens, Suzanne. À midi, hier, elle était pas sûre. Mon coeur balance, me dit-elle.

Entre le PQ et la CAQ?

Oui et non. Mon coeur irait vers le péquiste Jean-Marie Claveau, mais il y a Mme Marois. Je suis pas capable, Mme Marois.

Alors?

Alors je vais probablement voter pour la CAQ.

Les grands enjeux, disiez-vous? L'éducation, l'exploitation des ressources naturelles, la santé, l'emploi, vous êtes sûrs que les gens sont allés voter en pensant à ça? Moi, je crois qu'avec leur petite croix, les gens expriment plus souvent une émotion qu'une opinion. Cet autre, tiens, Serge Lavoie, il s'appelle. Il me dit d'une toute petite voix éraillée: j'ai voté pour le changement!

Vous avez la grippe?

Non, j'ai le cancer. Ils m'ont enlevé un poumon pis ils ont gratté les cordes, ça change la voix. J'ai voté Mario Dumont la dernière fois, j'ai voté NPD au fédéral, je vote pour le changement, toujours.

Il s'en allait, il est revenu: j'en ai un deuxième!

Un deuxième quoi?

Un deuxième cancer, il pointe son poumon droit.

Le changement, donc. Nicolas, 26 ans, chômeur: j'ai annulé mon vote. J'ai fait une grande barre ben droite sur toute la longueur.

Pourquoi?

Parce que c'est ça.

Pourquoi t'es allé voter?

Parce que c'est la démocratie.

Donc ils ont voté et ils ont élu Sylvain Gaudreault dans Jonquière, Stéphane Bédard dans Chicoutimi, Alexandre Cloutier dans Lac-Saint-Jean (Alma), Denis Trottier dans Roberval et Jean-Marie Claveau dans Dubuc. Tous du PQ.

Mais ils ont pas réélu Serge Simard dans Dubuc.

Déjà hier midi, et sûrement bien avant, il n'y croyait pas tellement. Il me parlait de ses petits-enfants, dont il allait s'occuper avec plaisir. Si vous n'êtes pas élu, monsieur le ministre?

Je vais m'occuper de mes petits-enfants...

Ni dérision, ni amertume. Un bon monsieur. La soixantaine prospère à la façon d'un notable de province, tout à fait l'air de ce qu'il était avant: directeur d'une caisse populaire. Tu veux pas aller prendre un café avec, mais tu veux bien lui confier tes économies. Un bon monsieur, je vous jure. Un bon député aussi, tout le monde me l'a dit à La Baie.

Je niaise? Pas tant que ça. Cinquante millions pour le tronçon d'autoroute entre La Baie et Chicoutimi. Dix millions pour un embranchement ferroviaire pour le port de Grande-Anse. Dix autres millions pour une seconde glace à l'aréna de La Baie. Réfection du port touristique, agrandissement du CHSLD de La Baie, un tomodensito-machin pour l'hôpital, réfections de chemins, de ponceaux, ouverture de sentiers de motoneige... Il s'est pas pogné le cul pendant quatre ans.

Ils l'ont battu pareil.

Pas un petit peu. Allez ouste, dehors!

Au dernier sondage, m'a-t-il avoué hier midi, avec un petit sourire douloureux, je traînais même derrière le candidat de la CAQ. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, la campagne n'était pas commencée que les sondages annonçaient un balayage péquiste au Saguenay et au Lac. C'est comme ça, ici. Je ne voudrais pas vivre ailleurs pareil.