Qu'est-ce qui menace le plus le Tour de France, la dope ou l'ennui? L'ennui répondait le chroniqueur de Rue89, un site un peu gogauche sur le web, tenu par des anciens de Libé. À la même question je répondrais : ni l'un ni l'autre mon capitaine. C'est la vitesse qui menace le Tour.

Il y a toujours eu une part d'ennui dans le vélo. C'est pas grave, je ne déteste pas m'ennuyer un peu en autant que ce ne soit pas en regardant du golf ou du plongeon. La seule chose que je déteste vraiment du Tour, depuis toujours, c'est sa vulgarité. J'en parlerai à la fin de cette chronique, mais revenons à la question : la dope ou l'ennui?

Ni l'un ni l'autre: la vitesse.

Plus les coureurs vont vite, quelle qu'en soit la raison, dope, préparation, méthodes d'entraînement, technologie, toutes ces raisons en même temps, plus ça va vite, plus la course est fermée. C'est facile à comprendre. Tu peux essayer de dépasser un train qui roule à 50 à l'heure. Ça fait un bon show. Mais si ce même train roule à 250, t'essaies même pas. Y'en n'a pas de show. Peut pas y'en avoir : ça va trop vite.

Précisons : quand je parle de la course, je ne parle pas de celle qui couronnne le vainqueur du jour - mais bien de celle qui décide du grand vainqueur du Tour.

À moins d'un accident, Bradley Wiggins et ses Sky seront les grands vainqueurs sur les Champs-Élysées dimanche prochain. Si, pour cause d'accident ou de défaillance ce n'est pas Wiggins, alors ce sera Froome, un autre Sky.

Le TGV des Sky roule à un rythme si soutenu en montagne que chaque fois que Cadel Evans ou Nibali tentent quelque chose, ça ressemble plus à une tentative de suicide qu'à une tentative d'échappée. On l'a vu l'autre jour, dans le Mollard je crois, Cadel a jailli comme un bouchon de champagne, deux kilomètrs plus loin il n'y avait déjà plus de bubulles dans la bouteille. Il s'est même fait décrocher à la fin. Nibali pareil, pas décroché, mais s'accrochant.

Ajoutez que pèse sur ce Tour, et l'étouffant un peu plus encore, l'énorme contre-la-montre de 53 kilomètres de samedi prochain, plutôt qu'un contre-la montre on pourrait dire un contre-le-monstre, Wiggins en la circonstance, qui mettra tout le monde à deux minutes, sauf Froome, son fringant lieutenant.

Parlant de Froome, jeudi, dans le dernier kilomètre de la montée vers La Toussuire, alors qu'il menait le train des favoris, il en a remis une couche, sans voir, c'est ce qu'il prétend, qu'il venait de décrocher Wiggins. Oups! Cela avait l'air de dire: Wiggins je le plante quand je veux. Message mal reçu par Wiggins, furieux, on se demande pourquoi.

***

Endormant ce Tour? Pas plus, pas moins que lorsque c'était le TGV de Lance Armstrong qui le menait. Il n'y a rien eu de soporifique du tout dans le feu d'artifice des Français en avance sur leur 14 juillet, Thibault Pinot à Porrentruy, Voeckler à Bellegarde, Pierre Rolland au sommet de La Toussuire. Il y a eu aussi Peter Sagan trois fois, et un bonheur ne venant jamais seul, il y a eu moins de Cavendish.

Bien sûr, pour les amateurs de vélo canadiens, le Tour a perdu beaucoup de son intérêt lorsque Ryder Hesjedal, blessé dans une chute, n'a pas pris le départ de la huitième étape. Dommage. J'ai le sentiment que le vainqueur du Giro avait la forme, le style aussi, pour déranger sinon inquiéter les Sky plus que ne le font Cadel Evans et Nibali.

***

Ennuyeux ce Tour? Hier un peu, c'est vrai, mais la victoire de David Millar-le-repenti à Annonay est plutôt sympathique. Si vous me disiez nomme-moi un coureur dont tu mettrais ta main au feu qu'il ne prend pas de dope je vous dirais sans hésiter: David Millar.

Pourquoi je souris?

Parce que vient de me traverser l'esprit que la dernière fois que j'ai dit ça, sur ce ton de grande certitude, c'était pour Tyler Hamilton. En passant, Millar a sorti l'an dernier une biographie Racing Through The Dark, saluée par la critique anglaise comme un petit chef-d'oeuvre, ce que me confirment deux de mes confrères de la section des sports qui viennent de la lire. J'attends pour ma part la traduction française.

***

Qu'est-ce qu'on disait?

Ah oui, en commençant cette chronique, je vous glissais que ce que je déteste le plus du Tour, ce n'est pas le léger ennui qu'il distille dans les étapes de plaine, c'est sa vulgarité de tous les instants, sur tous les terrains.

Le plus beau du Tour de France, c'est bien sûr la France et ses paysages, excusez, ce n'est pas, ce pourrait être la France et ses magnifiques paysages si les cameramen ne découpaient pas ce paysage en millions de cartes postale à la con... toujours la ruine de donjon sur son putain de piton, toujours le pont fleuri de géraniums, le cheval qui galope dans son enclos, le vélo géant fabriqué en cure-dents sur le toit de la maison, fuck et refuck. Et je ne dirai rien des capsules touristiques prémâchées pour les commentateurs des réseaux accrédités du monde entier qui s'en servent comme d'une sorte de mastic. Mastic: mélange pâteux et adhésif pour boucher les trous. Ces gens-là devraient être traduits devant un tribunal international pour crimes de nature talibane visant à déviarger le patrimoine mondial.

***

Le Tour ne serait pas le Tour sans son histoire de dope, sauf que celle-ci est en train de prendre une tournure inhabituelle... disons ésotérique. Selon L'Équipe, le jeune Rémy Di Grégorio, sur la prescription d'un gourou naturopathe, se shootait à l'ozone et procédait à des perfusions de glucose. Dans le charabia de la naturopathie, l'ozonothérapie aurait des vertus détoxifiantes, antiseptiques et anti-inflammatoires. Quant au glucose, le miel par exemple, c'est pas interdit pour pédaler, ce qui est interdit c'est de se l'administrer sous perfusion, c'est la perfusion en soi qui est interdite.

La question qui se pose ici: est-ce que la connerie est un produit dopant? Ne vous dépêchez pas de répondre, de toute façon cela ne changera rien, ni pour la naturopathie ni pour le vélo.

***

Toujours sur le front de la dope, question d'un journaliste à Bradley Wiggins : que pensez-vous de tous ces gens qui, sur Twitter, vous soupçonnent de dopage? L'Anglais a pété les plombs, traduit dans ma langue ça donne ceci : ce sont tous des chiens sales qui disent n'importe quoi parce qu'ils ont rien d'autre à faire dans la vie.

Je n'ai aucune idée si M. Wiggins se dope ou non, vraiment aucune idée, mais puis-je lui faire observer que, après Lance Armstrong sept fois, après Floyd Landis, après Alberto Contador, après Hamilton, après Heras, Pantani, je continue? ... sans parler de ceux qui sont dans le présent Tour, Millar, Leipheimer, Hincapie, Basso, Vinokourov, Valverde, Petacchi, le doute est bien la moindre des choses.

Chien sale donc, je doute.