Je l'ai dit, j'y reviens, je suis pour la grève, pour la grève-en-soi, est-ce assez irresponsable? Je suis pour la leçon de philosophie politique, cette branche de la philosophie qui s'intéresse au contrat social, à la nature même du politique, en posant la question: qu'est-ce qui est socialement juste?

J'applaudis les petits-bourgeois qui contestent l'ordre bourgeois. Après tout, ils sont les mieux placés pour le faire. J'aime que le Téléjournal ouvre sur une foule de 100 000 jeunes qui marchent dans la rue. Yesssss! On n'est pas tout à fait mort tant que le cadavre bouge encore.

J'applaudirais même à un peu de désordre, un peu d'anarchie. Qu'on laisse donc entrer un peu d'air dans ce monde étouffé d'utilitarisme, abruti de divertissement!

L'éducation est essentiellement l'étude de la société dans laquelle auront à vivre les étudiants, et il va de soi que l'éducation légitime les règles de cette société. Mais de temps en temps, l'éducation est aussi l'arrachement à ces règles, à la famille, à la culture ambiante, et ça, ça peut se faire en deux endroits différents: soit dans la rue, soit dans les Lettres - notez la majuscule : Montaigne, Rousseau, ces gens-là. Mais dans la rue, c'est quand même plus aérobique.

Oui à la grève. Mais en même temps, je disais aussi que je me contrecrissais de l'augmentation des droits de scolarité, sous-entendu je ne crois pas que la hausse découragera d'aller à l'université les étudiants qui veulent vraiment y aller.

J'ai reçu une tonne de protestations. J'en ai fait une courtepointe, un condensé, j'ai fondu ces protestations en une lettre unique. Je ne la commenterai pas. La voici.

Monsieur Foglia,

Vous avez un peu raison pour les ingénieurs, les médecins, les avocats, les pharmaciens, les gestionnaires, cela les dérangera de passer de 18 000$ à 33 000$ de dettes, mais pas tant que ça.

C'est une autre affaire pour les étudiants en arts, en musique, en danse contemporaine, en littérature, en sciences sociales, en sémiologie, en arts visuels... Et c'est justement en cela que la hausse des droits de scolarité est totalement idéologique. Quand tu annonces que tu t'en vas en lettres, ton mononcle, et à travers lui toute la société, te dit: ça donne quoi, ça, la littérature? À 18 000$, c'est juste une question débile. À 33 000$, elle te fesse dans le ventre.

Monsieur le journaliste, vous pointez un enjeu beaucoup plus important, selon vous, que les gros sous: la culture générale, la transmission de valeurs civilisatrices.

Ce que vous ne comprenez pas, c'est que la hausse des droits de scolarité se fait précisément contre ces valeurs.

Cette hausse n'est pas un dommage collatéral, c'est une attaque frontale. C'est voulu. C'est pensé comme ça. Les valeurs civilisatrices - on disait les humanités, à votre époque -, le gouvernement s'en crisse, pour employer votre expression favorite. Pourquoi pensez-vous que la formation des maîtres est aussi nulle? Parce que ce n'est pas important. Vous êtes un vieux monsieur, vous avez encore en tête une école, un lieu de transmission de savoir. Désolé, on l'a démoli. C'est une cafétéria, aujourd'hui. En spécial, à midi, un cours sur les somnifères commandité par Jean Coutu.

Autour de quelques livres

Ce qui reste de cette chronique ne parlera pas de livres puisque je n'en ai pas lu un seul, dans les derniers mois, qui mérite plus de trois ou quatre lignes. Je ne parlerai pas de livres, mais autour de quelques livres.

Je me suis empêché, il y a quelques mois, de dire que Charlotte Before Christ, d'Alexandre Soublière, m'avait plutôt irrité, sans trop savoir quelle part de cette irritation venait du brouhaha autour de cet événement-livre. Finalement, je me rends compte que c'est, et de loin, ce que j'ai lu de moins chiant depuis longtemps. Beaucoup de romans québécois (ou assimilés) complètement nuls; une Libanaise qui a fait la une du cahier livres du Monde, je me demande pourquoi - surtout pourquoi moi, gros poisson, je me suis précipité; lu encore une Française dont le prénom est Kéthévane mais qui écrit exactement comme si elle s'appelait Nicole; et le dernier Lucien Suel, qui m'a fait réaliser que je n'avais pas tripé autant que je l'avais dit sur l'avant-dernier, finalement: dans Suel, il y a suer.

Et une autre retentissante merde que je ne finirai pas: le dernier Sollers. Ce qui commence à m'énerver chez Sollers, 76 ans, comme chez Philip Roth, 80 ans, sans doute le plus grand des écrivains américains encore vivants, c'est le cul. Comme si, à leur âge, qui est aussi le mien, ils baisaient encore à couilles rabattues toutes les cinq minutes.

Sollers-Casanova retrouve dans un studio (qui donne sur les toits de Paris, ici on est presque dans Maurice Chevalier) une riche rombière qu'il baise en pensant à sa soeur; Roth, lui, fait tomber folle amoureuse d'un écrivain septuagénaire presque incontinent une jeune femme qui vient de se marier.

C'est sûr que je lis des romans pour me faire raconter des histoires, je les préfère pas commanditées par Viagra.

Ah oui, Camus aussi. Noces suivi de L'été, acheté l'autre jour dans cette librairie d'occasion, Mona lisait, tenue par une dame hongroise dont je vous reparlerai un de ces jours. Tandis que je payais mon Camus, un client est venu demander à la Hongroise si elle avait des livres sur les guérisseurs.

C'est pour guérir quoi? me suis-je permis. Si je peux vous être utile, je guéris personnellement les goitres et l'infertilité due au scorbut.

Finalement, pour revenir à Camus, en l'ouvrant au hasard, je suis tombé sur cette question un peu embêtante quand même, page 119: que signifie Prométhée pour l'homme d'aujourd'hui?

Cela signifie que l'homme d'aujourd'hui ne peut plus se passer de Google. Voilà.