Ce fut sans doute un des accidents les plus spectaculaires jamais arrivés à Montréal. Un chauffard ivre, qui circulait à très haute vitesse sur l'autoroute Décarie, a perdu la maîtrise de sa voiture, qui est allée heurter le parapet central avant de s'envoler littéralement dans les airs pour passer à travers le grillage de la clôture qui sépare les deux sections de l'autoroute, et pour finalement rebondir, dans l'autre section, sur le toit d'un véhicule, tuant sur le coup une prof du cégep de Saint-Jérôme qui venait de conduire sa fille à l'aéroport.

Le chauffard blessera sérieusement le conducteur d'un autre véhicule avant de s'immobiliser. L'autoroute Décarie a dû être fermée dans les deux sens jusqu'au lendemain matin. La porte-parole de Transports Québec ne se souvenait pas d'une scène d'accident aussi échevelée, avec des voitures renversées partout...

Neuf accusations criminelles ont été portées contre le chauffard qui, trois ans plus tard (!) a été condamné à... trois ans de prison.

Un grand sentiment d'injustice anéantit les parents des victimes, qui trouvent déraisonnables les peines infligées à ceux qui tuent un être cher ou le blessent sérieusement. Même si je ne suis pas un partisan de lourdes peines de prison, certaines sanctions - surtout celles infligées aux contrevenants mineurs - tiennent de la petite tape sur les doigts.

Neuf mois en garde fermée, six mois dans la communauté pour avoir tué quelqu'un à 180 km/h, soûl, on peut comprendre l'indignation des veuves, des mères qui trouvent qu'on insulte la mémoire de leurs disparus.

Mais bon, il a 16 ans et on ne va tout de même pas, même si ça ferait plaisir à M. Harper, envoyer ce petit con au bagne pour la vie. Me semble que la punition devrait avoir ici le sens de «réparation».

Dans notre régime «sans égard à la faute», dans le cas d'un décès, la SAAQ verse une indemnité de 51 000$ à la veuve ou aux enfants. Pourquoi la SAAQ n'exigerait-elle pas du contrevenant qui a tué «avec facultés affaiblies», dès lors qu'il a été reconnu coupable, le remboursement de ces 51 000$? Un peu comme on rembourse une dette.

«Sans égard à la faute», mais pas dans le cas de fautes criminelles et jugées comme telles. Ou serait-ce ici ouvrir une brèche qui emporterait tout le barrage?

La SAAQ verse annuellement 1 milliard de dollars en compensations diverses aux accidentés de la route. Elle paie les frais funéraires (4826$), elle paie pour des remplacements de revenu, elle paie pour les séquelles (jusqu'à un maximum de 226 000$ dans le cas d'une tétraplégie, par exemple), elle finance en partie les centres de réadaptation (inclus dans le milliard). Bref, une merveille de régime, un instrument qui a mis fin aux poursuites judiciaires interminables et qui assure une compensation minimale. Merci, madame Payette. Je me demandais seulement si, dans le cas du petit con à 180 km/h, il ne conviendrait pas de l'obliger à rembourser la SAAQ. L'expression «payer sa dette à la société» prendrait alors tout son sens.

Pour en revenir aux peines de prison, Stéphanie Landry, procureure de la Couronne à Sherbrooke, a obtenu sept ans de prison (confirmés par la Cour d'appel) dans un dossier de conduite avec les facultés affaiblies. Il s'agit du cas de cette étudiante de 20 ans de Sutton (Corinthe) dont j'ai parlé dans mon texte de lundi, tuée par un soûlon dans la cinquantaine qui collectionnait les condamnations pour conduite en état d'ébriété.

La procureure indique que le poignant témoignage des parents, lors de l'audience sur la peine, n'est certes pas étranger à la sévérité de cette peine, la plus sévère à l'époque pour un cas de conduite avec facultés affaiblies, et il plaît à la procureure de croire que ce dossier a, depuis, fait école.

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Dans presque tous les témoignages recueillis au cours de ce reportage, un regret récurrent chez les victimes: l'absence d'excuses des contrevenants. Pas un mot, pas un coup de téléphone, rien. Il était soûl, il a tué ma fille, mais ça ne lui vient même pas à l'idée de s'excuser. De l'impolitesse? Bien pire: le sentiment que c'était juste un accident.

Ceci n'est pas un regret mais une statistique: le type qui était soûl à 180 km/h, pas attaché, s'en sort assez souvent avec presque rien. Parfois, même, il devient un héros. Comme celui-là qui a tué deux personnes en plus d'en blesser gravement une autre et qui a été fièrement baptisé Le Killer dans les pages Facebook de ses amis.

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Pour finir cette série, une bonne nouvelle. Il y a eu 487 morts en 2010 sur les routes du Québec pour un parc automobile de 6 millions de voitures. En 1973, pour 3 fois moins de voitures (2,3 millions), il y a eu 5 fois plus de morts: 2209.

En 2010, il y a eu 2300 blessés graves (nécessitant une hospitalisation) et 41 000 blessés légers (par exemple, des fractures).

La bonne nouvelle, c'est que ça continue de baisser un tout petit peu chaque année. La mauvaise nouvelle: un tout petit peu seulement.

Alors? Une meilleure surveillance policière? D'autres campagnes de sensibilisation? Une configuration plus sécuritaire des véhicules? Tout cela, bien sûr. Ajoutez à cela l'augmentation du prix de l'essence - je sais, je sais, n'empêche que ça joue un rôle.

Ajoutez des lois plus sévères. Dans deux semaines - à partir du 15 avril -, le zéro alcool qui s'appliquait jusqu'ici aux conducteurs de moins de 18 ans s'appliquera à tous les conducteurs de véhicules motorisés de moins de 21 ans.

Reste que, à la fin, toutes mesures prises, il reste le plus difficile. Le plus facile, c'est de s'attaquer à la vitesse, à l'alcool, à la drogue. Le plus difficile? S'attaquer à la culture. Disons ça autrement. Disons qu'il y a des radars pour dire: tu vas vraiment trop vite. Il n'y a pas encore de radars pour dire: t'es vraiment trop con.

Pour terminer cette série comme je l'ai commencée, une illustration, une dernière. Il avait 16 ans, il allait très vite, il a pris le fossé, il est mort sous sa voiture.

Ses chums, une demi-douzaine, ceux avec lesquels il faisait la course sur des routes peu surveillées, ceux avec lesquels il faisait de la boucane avec ses pneus, ses chums étaient au salon funéraire avec leurs blousons de course, la casquette vissée sur la tête. Dans un geste dont je ne saisis pas très bien la signification, ils sont allés déposer leur permis de conduire dans le cercueil avant qu'on le ferme. Ce sont eux qui ont porté la boîte jusqu'au corbillard.

Ils avaient des allures de soldats, compagnons d'armes qui portaient un des leurs tombé au combat.

C'est ce que je veux dire quand je dis que le plus dur reste à faire: s'attaquer à la culture vroum-vroum.

Est-ce qu'il y a des parents dans la salle?

REMERCIEMENTS À MADD et à sa directrice pour le Québec, Marie-Claude Morin. MADD (les Mères contre l'alcool au volant) lutte depuis 30 ans contre l'alcool (et le cannabis) au volant. MADD encourage les victimes à prendre la parole pour partager leur douloureuse expérience.

À Mme Johanne Saint-Cyr, vice-présidente de la SAAQ, et à ses fonctionnaires.

À Jean-Marie De Koninck.