J'ai tellement de choses à dire quand je commence cette chronique que, des fois, de plus en plus souvent en fait, je ne fais pas de chronique, c'est comme ça, je m'étouffe comme une pompe submersible débordée par le trop-plein d'une grosse crue. Cela m'a pris 70 ans pour me définir, mais là, je crois que j'ai enfin mis le doigt dessus: je suis une pompe submersible et parfois subterfuge.

Je disais donc que cela promettait d'être ce genre de lundi complètement subterfuge qui finirait par «pas de chronique» quand, tôt hier matin, un courriel de ma boss m'a averti que notre journal lançait aujourd'hui son nouveau logo et qu'elle aimerait que j'y sois.

J'ai d'abord compris qu'elle m'invitait au lancement du nouveau logo et j'ai aussitôt commandé à ma fiancée de repasser mon habit des grandes occasions, quand un nouveau courriel de ma boss me précisa qu'elle voulait que je sois dans le journal, une chronique, quoi.

Si c'est un ordre.

Par quoi voulez-vous qu'on commence? Un sujet rare, tiens, mon vélo. Vous êtes nombreux à me demander des nouvelles de mon nouveau vélo. Pis? me demandez-vous.

Pis c'est incroyable, de la minute où j'ai rentré le nouveau vélo dans la maison, le vieux qui craquait de partout s'est mis à rouler mieux qu'un neuf. Un grand classique, non? Ça fait une semaine que t'as mal aux dents, t'arrives chez le dentiste, plus rien. T'as mal ici, t'arrives chez le médecin, ici? Non. Là? Non plus. Où alors? Je ne sais pas, docteur, je n'ai plus mal.

Tu rencontres une nouvelle fiancée, mignonne comme tout, propre sur elle et tout et tout et hop, aussitôt, quel hasard, la vieille se remet à être fine ça s'peut pas, tu l'appelles pour lui dire que tu vas rentrer tard ce soir, c'est plate, elle dit, je voulais faire une omelette norvégienne. Ça fait deux ans que tu lui dis il me semble que ça fait longtemps que t'as fait une omelette norvégienne.

T'arrives à la maison, en plus de l'omelette norvégienne, elle a mis sa robe bleue.

Eh bien, le vélo neuf, c'est pareil. Je l'ai essayé une fois ou deux pour voir. Mais je me suis remis au vieux presque aussitôt. Pourquoi je changerais? Clic, clic, les vitesses changent au bout de mes doigts, un charme, une soie.

Pas loin de 200 kilomètres en fin de semaine. Mes cuissards à grand manches, des gants, et une petite laine pour le retour sous un ciel plein d'oies qui cacardent.

UN CHRONIQUEUR INTELLIGENT - Parlant d'omelette norvégienne, vous connaissez Jacques Attali? Il a été longtemps le «penseur en résidence» de Mitterrand, auteur d'une trentaine d'essais souvent brillants, philosophe, économiste, président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, etc., et maintenant, je crois, chroniqueur à L'Express.

C'était au lendemain du massacre que l'on sait en Norvège, chacun y allait de son interprétation, celui-là annonçait une guerre de religion, celui-ci parlait de la poudrière des partis d'extrême droite, Jacques Attali, lui, disait dans sa chronique intitulée «La leçon norvégienne» que c'était la faute de... la Norvège, ce pays où il ne se passe pas grand-chose.

Pardon? J'ai relu et relu: ... un pays ne peut rester durablement sans un projet politique lui donnant un sens dépassant sa réalité matérielle, l'inscrivant dans l'Histoire. Et si les hommes politiques sont incapables d'en proposer un, exaltant, des fous s'en chargeront.

Oubliez la Norvège deux secondes. Pensez au Canada - voyez-vous quelque part un projet politique exaltant lui donnant un sens dépassant sa réalité matérielle? Mettons un projet qui s'élèverait un tant soit peu au-dessus des sables bitumineux?

Si M. Attali a raison, si le vide des pays sans Histoire devait forcément se remplir d'explosions, eh madame! ça devrait péter très fort bientôt du côté de Saskatoon, de Flin Flon et de Chicoutimi.

À moins que M. Attali, pour intelligent qu'il soit, dise n'importe quoi. Il ne serait pas le premier chroniqueur intelligent à qui cela arriverait.

LE SYNDROME DE LA MONTAGNE - Deux coureurs cyclistes québécois reconnaissent avoir pris de l'EPO et voilà que sur le site de LaFlammeRouge.com, quelqu'un appelle cela «le syndrome Foglia».

Comme si, avec mademoiselle Jeanson, j'avais lancé une nouvelle forme d'aveuglement. Pourquoi pas le syndrome André Breton, qui était l'entraîneur d'Arnaud Papillon, le dopé en question? Pourquoi pas le syndrome Louis Garneau, propriétaire de l'équipe à laquelle appartiennent les deux jeunes coureurs?

Ce que vous appelez le syndrome Foglia, c'est le syndrome de la montagne: quand t'es dessus, tu ne la vois pas. Les proches des dopés apprennent les derniers que leur mari, leur ami, leur idole est dopée. J'ai couvert le cyclisme québécois passionnément pendant une quinzaine d'années, je connaissais tous les coureurs «personnellement», je serais bien incapable de vous dire qui se dopait et qui pas. J'ai aussi été le confident d'une athlète québécoise de niveau international qui se dopait, je ne l'ai su que lorsqu'elle s'est fait prendre. Je ne parle pas ici de Jeanson, je connaissais à peine Jeanson, celle dont je vous parle me confiait ses états d'âme, ses histoires de coeur, ses histoires de famille, je suis tombé le cul en bas de ma chaise quand elle a avoué devant la commission Dubin qu'elle prenait les mêmes stéroïdes que Ben Johnson.

Le syndrome de la montagne, disais-je. De loin, tu la vois bien. Dessus, tu la vois pas.

NEVER EXPLAIN - J'aurai donc trahi cent mille fois cette règle d'or à laquelle j'adhère pourtant complètement. Quel rapport entre «tuer le cochon» et tuer Kadhafi? me demandent plusieurs lecteurs depuis samedi... Never explain surtout une métaphore! Je ne peux pourtant pas ne pas répondre à vos folies folles.

Le lien, puisque vous me le demandez, était dans la saignante allégresse d'un assassinat, dans l'excitation aussi, cette décharge, si j'ose dire, presque sexuelle, de tout un pays.

Le lien est aussi que cette bête, le cochon comme Kadhafi, tout le monde l'a nourrie de ses épluchures et de ses eaux grasses, tout le monde l'a flattée et maintenant tout le monde en veut un morceau. Les Français, les Anglais notamment ne sont pas qu'un peu pressés d'aller réclamer leur part de boudin.