Michel Roy, qui a été mon patron à La Presse dans les années 80, est mort l'autre jeudi. Le pince-sans-rire qu'il était s'amuserait à lire les vibrants hommages que lui rendent mes collègues depuis une semaine. Tous soulignent le respect qu'il inspirait, sa civilité, sa passion pour notre métier... Je souscris, bien sûr. Avant lui, j'avais eu pour boss plusieurs ratons laveurs - excusez, plusieurs administrateurs - qui ne faisaient pas trop la différence entre administrer une usine à chaussures et une salle de rédaction. Michel a été mon tout premier boss «journaliste», le premier avec qui on pouvait parler information et même - quel luxe! - écriture.

Je lui ai fait mes adieux il y a un an et demi, dans une chronique qui ne le nommait pas, après une visite au CHSLD où, à mon grand effroi, je l'avais trouvé déjà plongé dans le demi-coma qui engloutit ceux qui sont atteints de cette terrible maladie.

Je vois dans l'avis de décès publié dans les journaux que la famille remercie le personnel de l'aile Est du CHSLD Mont-Royal de sa bienveillante et chaleureuse attention. Je tiens à témoigner - c'est même l'objet de ce court billet - que, même pour le visiteur très, très occasionnel que j'ai été, cette bienveillante attention était manifeste, d'autant plus manifeste dans le climat de défiance générale que nourrissent les médias envers les établissements de soins de longue durée.

La dernière fois que j'ai vu Michel, on s'était rendus jusqu'au petit parc situé un peu plus haut, rue Brittany. Au retour, nous avions croisé sur le trottoir une préposée aux bénéficiaires qui venait de finir son travail et se dépêchait d'aller prendre son autobus. Elle s'arrête pourtant, salue Michel:

Ah, monsieur Roy! Comment s'est passée cette promenade? Et la voilà qui le redresse dans son fauteuil roulant, replace ses pieds sur les appuis près des roues. À demain, monsieur Roy.

C'est ça, à demain, monsieur Roy.

Terrorisme - Quand je pense que personne ne m'a appelé pour me demander où j'étais et ce que je faisais le 11 septembre 2001! Alors donc, le 11 septembre 2001, à 8h46 du matin... Mais non! C'est une blague.

N'empêche que j'ai, moi aussi, une petite histoire à vous raconter sur le 11 septembre.

Il y a quelque temps, j'ai vu un documentaire intitulé Un an à Ground Zero, qui raconte le grand ménage dans le quartier des tours effondrées, l'année qui a suivi les attentats. On entend des gens du quartier dire ce qu'ils aimeraient qu'il advienne de Ground Zero. Il y a celui qui veut qu'on reconstruise exactement les deux mêmes tours - tiens, toé, ben Laden! - Il y a ceux qui veulent un monument, ceux qui veulent un parc, et il y a cette dame qui voulait qu'on rouvre au plus sacrant la librairie Borders, qu'elle fréquentait avec ses enfants, qui a été un peu abîmée dans l'écroulement des tours, mais pas trop...

Ces attentats ont toujours été présentés comme une attaque des barbares contre la civilisation. Chacun son idée de la civilisation, bien sûr. Pour M. Bush, c'est un centre commercial. Vous vous souvenez de son ahurissant: allez magasiner?

Pour d'autres, comme cette dame, la civilisation, c'est une librairie. J'aime beaucoup cette idée de rouvrir une librairie comme réponse aux barbares.

Il se trouve que je suis moi aussi client d'une librairie Borders. Pas celle de Ground Zero, bien sûr; celle de la rue Church, à Burlington. Ma fiancée m'y laisse en arrivant et vient m'y rechercher une heure et demie plus tard. J'y bouquine les petits mensuels de la gauche américaine, des revues d'art, de musique, des guides touristiques, j'y achète des cartes routières et parfois le dernier Tom Waits.

Sauf que, la dernière fois que je m'y suis présenté, en juin, de grandes affiches obstruaient les vitrines: store to be closed, everything 40% to 65%.

Les librairies Borders sont en faillite aux États-Unis.

Pis?

Pis chacun son terrorisme.

À PART ÇA? - Que lisez-vous, ces jours-ci? Moi je viens de finir Freedom, de Jonathan Franzen. Je l'attendais depuis un an, depuis que la revue Times en a fait le roman de la décennie. J'avais entendu dire qu'il était mal traduit. C'est pire que ça: un désastre de traduction. L'impression que les Éditions de l'Olivier, qui ont acheté les droits, ont recruté un traducteur à la dernière minute et lui ont donné deux jours et demi pour traduire les 717 pages. Comment dit-on botché, en français?

Le roman lui-même m'a déçu. Un peu. C'est pas tout mauvais, mais c'est pas non plus le grand roman que l'Amérique attendait en relève aux Philip Roth, DeLillo, Moody. On est plus près de Tom Wolfe: le même genre d'efficacité qui sacrifie le style à l'histoire. Sauf que, sans le style, les histoires finissent toutes par m'embêter, surtout quand elles durent 700 pages...

Changement de sujet, étiez-vous à la course de bécyk, dimanche? Qu'est-ce qu'on s'est fait chier. Autant ce fut une belle course à Québec, l'avant-veille, autant il a fallu quatre heures à celle de Montréal pour décoller. Je crois que la faute en est au mont Royal, trop court pour être une montagne, trop dur pour être une colline; les coureurs le montent en facteur, la demi-douzaine concernée par la victoire attend les deux derniers tours pour en découdre. Il n'y a pas, avant, cette course d'usure qui donne tout son sens au vélo - sinon, pourquoi faire 200 km?

Les filles faisaient exactement la même course d'attente dans feu le Grand Prix féminin. Je pensais que c'était parce que c'était juste des filles. Je m'excuse.