On commence par le mode d'emploi. Vous savez cette souffleuse à neige dont je vous parlais l'autre jour - une White Outdoor - ,elle est fabriquée Dieu sait où, mais la maison mère est à Cleveland, le centre de distribution pour le Canada, à Kitchener, le manuel d'utilisation est imprimé aux États-Unis, bref, vous imaginez d'ici le charabia de la version française dudit manuel d'utilisation?

Eh bien non, justement, vous n'imaginez pas. Zéro charabia. Un bijou de traduction. Cela fait une semaine que je n'arrête pas de la relire par plaisir, pour m'émerveiller encore. Je sais, vous pensez que je déconne. Pourtant pas.

Cette description en anglais: «The drive control also locks the auger control so you can operate the chute directionnal control without interrupting the snow throwing process».

En français cela devient presque de la poésie: «La commande de la transmission permet aussi de bloquer les tarières pour que le conducteur puisse changer l'orientation de la goulotte sans interrompre la projection de la neige».

Non mais, des tarières! une goulotte! C'est quand la dernière fois que vous avez eu des tarières et une goulotte dans une machine qui venait de Cleveland en passant par Kitchener? Changer l'orientation de la goulotte pour: «operate the chute directionnal control» - qui a dit que le français était toujours plus long? Ça ne vous fait pas bander un petit peu? Moi oui.

Les pages centrales du manuel d'utilisation - pardon, de la notice d'utilisation - détaillent les 300 pièces de la souffleuse. Relevés au hasard: des roulements à bride à six pans, une entretoise à épaulement, des viroles de réglage (en option), des goupilles fendues et des vis à tête en goutte de suif.

Quelques petites fautes étonnantes (ampoulle), grummet (pour oeillet), n'empêche que cette notice d'utilisation d'une souffleuse à neige restera une de mes plus réjouissantes lectures de l'année 2010. Je déconne? Montrez-moi des écrivains capables d'une telle élégance dans la précision.

LA MORALE - Je n'arrête pas d'aller à mon club vidéo dans l'espoir d'y trouver la sixième saison de Weeds et la quatrième de Madmen, rien encore, mais qu'est-ce qu'ils foutent? Il y a de moins en moins de films à mon club vidéo, de plus en plus de merdes incroyables et les filles au comptoir sont de plus en plus nulles, d'ailleurs pourquoi sont-ce toujours des filles?

Weeds? C'est quoi?

Une série, mademoiselle.

Les séries, c'est là-bas. Elle montre un mur avec son doigt.

Tout de même, cette semaine, j'ai trouvé un truc pas pire: The Killer Inside Me. D'après un roman très noir de Jim Thompson. À une époque qui a duré longtemps je lisais beaucoup de romans noirs, puis je n'en ai plus lu du tout, je les ai tous jetés sauf une vingtaine, dont deux de Jim Thompson, Rage noire, un des livres les plus tordus que j'ai lus dans ma vie et 1275 âmes pas mal malade aussi, le chef-d'oeuvre de Thompson dont Tavernier a fait une remarquable adaptation avec Noiret, c'est à la Boîte Noire sous le titre de Coup de torchon.

Je ne me rappelais plus de The Killer Inside Me, ça m'est revenu en regardant le film, une histoire de shérif adjoint dans une petite ville du Texas, il a l'air angélique, il tue deux femmes à coups de poing, je ne suis pas allé voir sur le net mais ça a dû gueuler fort du côté des madames quand le film est sorti en août dernier. C'est bien raconté par un Anglais, je ne pense pas qu'un Nord-Américain aurait pu faire ce film-là de cette façon-là, je ne parle pas de talent mais de javellisation de la création, peut-on faire un film sur la violence en se contentant de la suggérer? Mais vous avez raison, on peut aussi, légitimement, retourner la question: doit-on tout montrer? Qu'importe, la réponse ce sera la bonne si elle n'est pas morale.

Baudelaire dans la préface des Paradis artificiels: mon livre (mon film) a pu faire du Bien. Je ne m'en afflige pas. Il a pu faire du Mal. Je ne m'en réjouis pas.

PARIS-BREST - Un cadeau, tiens. Habituellement, je vous parle de livres pour toutes sortes de raisons parmi lesquelles, parfois, celle-ci: parce que je sais, de façon quasi certaine, que vous aimerez le livre dont je vais parler. Enfin la majorité d'entre-vous. C'est le cas de celui-ci.

Un livre de rien du tout, en forme de monologue qui été porté à la scène cet été en Belgique et en France aussi.

Le titre: La version Claus (traduit du néerlandais, aux éditions Aden, une petite maison belge dont les livres sont distribués ici par Dimédia)

Les auteurs: Mark Schaevers et Hugo Claus. Mark Schaevers est journaliste. Hugo Claus est peintre, écrivain (auteur de Chagrin des Belges). Claus qui est mort en 2008 n'a pas pu signer ce livre, il en est quand même plus que l'inspirateur, ce sont ses mots rassemblés à partir des entretiens avec des journalistes, auxquels il mentait pour s'amuser (et les amuser?), remarquez les écrivains mentent tous, c'est leur métier, mais justement on est plus porté à croire celui-ci qui ne prétend pas dire vrai.

Cela donne 75 pages qu'on se retient de dévorer trop vite. Comme moi, l'autre jour à la pâtisserie Tartes et Clafoutis de Granby, où ma fiancée a fini par s'impatienter:  Tu ne l'aimes pas ton Paris-Brest?

Le contraire, mon amour.

Extrait des premières pages: Vous avez donc fait tout ce chemin pour savoir qui est Hugo Claus? On m'a un jour défini comme un géant des Flandres. C'est une race de lapins.

Mettez le mot lapin dans n'importe quel livre, je capote. Je n'écris pas de livre essentiellement parce que je n'ai rien à dire, c'est bien dommage parce que j'ai un crisse de bon titre: Plein des lapins

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