Un lecteur fait des reproches à un collègue de la page éditoriale et m'envoie copie du courriel qu'il lui adresse. Je trouve le procédé vulgaire. En quoi? Ici, je le sens, je ne vous convaincrai pas. En cela que le lecteur en question ne se doute même pas qu'il est vulgaire. La vulgarité s'ignore toujours. Ben quoi qu'y a-t-il de mal à vous envoyer copie de mon courriel à A...? Vous faites des histoires pour rien.

Le «y a-rien-là» est l'Himalaya de la vulgarité.

La vulgarité imprègne l'air du temps, elle est d'abord, évidemment, dans le conformisme, mais plus encore dans l'anticonformisme. Elle n'est pas, bien entendu, dans la beauté, encore que le désir de beauté (et d'élégance) y mène tout droit. Le sexe n'est pas vulgaire, la pornographie non plus, enfin pas forcément. L'érotisme, haha l'érotisme, l'érotisme est pire que vulgaire, il est prémédité, et même parfois, le samedi soir, dans le 450 et le 819, arachnéen.

On ne peut pas s'arrêter à tout ce qui est vulgaire, on deviendrait fou. Je n'aurais jamais pensé en faire un sujet de chronique si, ces jours-ci, ce n'était pas moi qu'on taxait de vulgarité.

Moi, le plus délicat des hommes. Pourtant si vous êtes du genre à faire le tour des blogues vous y lirez ces jours-ci que je suis un monstre de vulgarité.

Cela tiendrait à trois réponses que j'ai faites récemment à trois courriels, le premier, je viens de vous en parler: ce lecteur qui m'envoie copie d'une lettre qu'il adresse à un collègue.

Allez-vous m'envoyer aussi copie de votre correspondance avec votre belle-soeur? Au fait, suce-t-elle?

Le suce-t-elle, a fait, paraît-il, grand bruit. Il n'est pourtant qu'ingénu.

Pour le second courriel, il s'agissait d'une opération que je fais 30 fois par semaine: demander à un emmerdeur de retirer mon adresse courriel de sa liste d'envoi. Celui-là s'est exécuté avec enthousiasme: et voilà c'est fait, monsieur Foglia! Je n'ai pu m'empêcher: Devrais-je vous remercier? Le fin finaud a reniflé le sarcasme: qu'avez-vous donc à toujours bougonner?

Le troisième courriel touche au délire. Un lecteur m'envoie copie de la lettre qu'il adresse à M. Boivin, président du Club de hockey Canadien. Je ne lis jamais les copies de lettre au premier ministre ou au pape, c'est toujours pénible et ronflant, mais ici j'ai accroché les premières lignes et avalé le premier paragraphe comme on avale une grenouille vivante:

Monsieur Boivin, la personne qui vous parle est un amateur de hockey partisan du Canadien depuis Maurice Richard. J'ai enseigné à l'Université Concordia (Loyola College) en anglais et je lis Hamlet dans le texte original. Ayant passé 26 ans à l'école, du primaire à l'Université de Montréal et Laval où j'ai obtenu un doctorat en littérature, vous avez besoin de vous lever de bonne heure pour me faire passer pour un esprit étroit et borné/Je suis écrivain; j'ai publié cinq livres et j'en publierai un sixième bientôt/et je ne parle pas des 320 textes publiés sur mon blogue...

Fuck off, Chose.

Il a été bien outré de ce fuck off, dont il fait tout un fromage en ce moment sur son blogue, me rapporte-t-on. Mais que pouvait-il attendre d'autre d'un esprit étroit et borné qui n'a pas lu Hamlet en serbo-croate, qui n'a pas de doctorat, ni de bac, ni de DEC en littérature, qui n'a pas écrit de livre et qui n'a même pas de blogue?

* * *

Et puis tiens, un quatrième courriel, reçu mardi, pour illustrer une autre forme de vulgarité, la plus commune peut-être, celle qui s'exprime en formules de politesse prémâchées servies comme de la moulée à des veaux. Ce courriel me vient de Mme Bombardier. Ou plutôt de son mari M. James Jackson: Ma femme, Mme Bombardier, m'a confié la tâche ingrate de trier le grand nombre de courriels qu'elle reçoit régulièrement en réaction à ses commentaires à la radio et à la télévision et à sa chronique dans Le Devoir. Il va sans dire que j'élimine surtout les messages où l'insulte prime la réflexion, mais il m'arrive souvent d'écarter les messages dénués de tout contenu intellectuel. Je constate que vous lui avez écrit deux fois. Hélas, vos deux écrits ne répondant pas aux critères que j'ai établis, je ne les garde pas. Je vous remercie cependant d'avoir pris la peine de lui écrire. James Jackson.

J'ai répondu brièvement: si ce n'est pas une blague, c'est une erreur, je n'ai pas écrit à Mme Bombardier.

Et puis j'ai réalisé que ce courriel - que j'ai bien reçu - était adressé à quelqu'un d'autre, il m'est parvenu bien inutilement, en copie conforme, par la bande, cela est d'ailleurs lié au courriel précédent, celui du docteur en littérature, anyway le lien n'est pas très important.

Mais puisqu'il était là ce courriel de Mme Bombardier, enfin de son mari, je l'ai relu plus attentivement. Intéressant. Vous écrivez des niaiseries à Mme Bombardier et elle vous fait parvenir, par son mari, un texte prémâché qui vous dit merci beaucoup d'avoir pris la peine de m'écrire, mais franchement vous n'êtes pas assez intellectuel pour moi.

Vous m'écrivez les mêmes niaiseries, et je vous demande des nouvelles de votre belle-soeur.

Finalement, amis lecteurs, que ce soit par Mme Chose ou par moi, vous êtes plutôt mal servis. Écrivez donc à Réjean Tremblay. Et ne m'envoyez pas de copie. Merci.