La revue Urbania est une superbe revue, unique au Québec, surtout par sa présentation, par ses textes aussi, flyés sans trop d'affectation. Un peu d'affectation, quand même - on a parfois l'impression, comme dans les autres revues pop art du genre, que ce sont les graphistes qui l'écrivent. Ce n'est pas un reproche. Mais c'est un genre, c'est sûr.

Une revue originale dans sa façon d'explorer un thème par numéro. Le numéro de cet été se penche sur les vieux.

En couverture, la magnifique photo d'une vieille en noir et blanc avec des toiles d'araignée. Il n'est pas précisé s'il s'agit de cette vieille dont le jeune homme qui fait une fixation sur les vieilles, en page 59, dit: elle me suçait avec intensité, amour et minutie comme si c'était sa dernière pipe.

Mais l'article le plus saisissant, celui qui explore le plus loin le douloureux naufrage de la vieillesse, raconte la visite qu'un reporter a faite à Édouard Carpentier (le lutteur). Assis sur le siège des toilettes, Édouard Carpentier essaie de défaire les bandages qu'il a sur les jambes. Aide-moi, dit-il au reporter.

Je ne suis pas votre infirmier, M. Carpentier, je viens pour l'interview.

Oui, oui. Mais aide-moi.

Toute la revue est de cette eau - je veux dire de fort belle tenue, sauf quelques formidables et j'imagine incontournables clichés, comme celui-là qui nous dit que «la vieillesse, c'est dans la tête». Ben tiens, Chose. Un petit peu dans la queue aussi, non?

Il y a aussi Gregory Charles qui nous dit que, lorsqu'il sera vieux, il sera à la fois actif, compétitif, curieux, effervescent, lyrique, passionné et amoureux de la vie.

Vous comprenez maintenant, jeunes gens, pourquoi je vous ai dit non quand vous m'avez demandé ma collaboration? Qu'aurais-je pu ajouter à ce que vous a dit Gregory Charles? Gregory qui, en passant, est presque mon voisin. On ne se croise jamais mais, savez-vous, il ne m'étonnerait pas du tout que, secrètement, il m'ait pris pour modèle du vieux qu'il rêve d'être plus tard.

Actif, compétitif, curieux, effervescent, lyrique, passionné, amoureux de la vie, ça ne peut être que moi. Ou Janette Bertrand.

***

Je vous disais donc que mes vacances m'ont fait grand bien, même s'il m'a fallu deux semaines, à roulotter alentour, à aller aux champignons - fabuleuse année pour les champignons -, avant de m'apercevoir de la chose: cout'donc, je suis en vacances! Si j'allais quelque part? J'ai déplié une carte du Vermont et mis mon doigt sur Springfield, là. Je prendrai cette route-là. Je ne sais pas si cela vous arrive aussi, vous tracez votre trajet au marqueur jaune, youpi-laye, c'est tellement facile sur la carte, par là jusqu'à Saxton, retour par Townshend, vous y êtes le lendemain... Et paf, ça commence par une côte à 22%, c'était pas prévu. Vous montez les deux premiers kilomètres à pied, il en reste 121. Longue journée.

J'avais oublié que le sud du Vermont est plus habité, plus récréotouristique, même un peu Saint-Sauveur. Plus de trafic aussi. J'ai pas regretté parce que c'était les vacances et qu'il faut bien aller quelque part, mais vous ne le répéterez pas? Le nord du Vermont est mille fois plus beau. C'est au nord du Vermont que sont les plus belles routes à vélo du monde.

À Springfield, je logeais sur les hauteurs, le Hartness House, où venait se reposer Charles Lindbergh dans les années 30. Un grand manoir près d'un grand cimetière, aujourd'hui un peu négligé (le manoir, pas le cimetière), encombré de navrants pots de fleurs en plastique, tenu par une Russe qui ferme les portes à 18h pour se retirer dans ses appartements. Les portes et les escaliers grincent comme dans les films d'Hercule Poirot. L'endroit était vide, sauf deux jeunes dames un peu toutounes, peut-être lesbiennes, peut-être en voyage de noces. Peut-être aussi que l'une d'elles est chroniqueuse dans un journal de Boston ou de New York et qu'elle écrit à l'instant même : l'endroit était vide, sauf un vieillard renfrogné en cuissards de vélo, il lisait un livre en français sur le perron en mangeant des cerises dont il crachait les noyaux dans le massif de pétunias. Peut-être un mort revenu du cimetière voisin? Mais non, les morts ne mangent pas de cerises. Plus probablement un type un peu malheureux. Anyone with pain.

C'est peut-être le titre de sa chronique. En tout cas, c'est celui de la mienne. Anyone with pain.

***

Comme je vous le disais dans ma chronique de mardi, je songe sérieusement à faire du cinéma, mais évidemment il faudra que je change de voiture. On n'a jamais vu un acteur en Yaris. J'ai pensé à une Porsche, il y en avait une l'autre jour dans La Presse, la Panamera. Si j'ai bien compris ce qu'en disait notre chroniqueur auto, c'est une voiture «bonne pour l'image». Un peu chère, peut-être: 92 000$. Mais bon, il se trouve que je les ai depuis hier.

Figurez-vous que j'ai hérité. Quatre millions d'euros. Comme ça, par courriel. Une dame que je ne connais même pas. Non, non, non, rien à voir avec les attrape-nigauds habituels sur le Net, ces soi-disant épouses de potentats nègres assassinés ou en fuite qui veulent transférer leur fortune à la caisse populaire de Clarenceville. Celle-ci est française, elle m'a envoyé sa photo, Agnès Montagne, 54 ans, en phase terminale d'un cancer de la gorge. Mon mari décédé était un pétrolier libyen... Bref, elle n'a ni famille ni enfants, que voulez-vous qu'elle fasse de sa fortune? Probablement qu'elle me lisait sur le Net, qu'elle aimait ça, et voilà... Je lui ai répondu un petit mot drôle, pour essayer de la distraire de sa fin prochaine : Vous dites, madame, que votre mari était un pétrolier libyen. Vous avez épousé un bateau-citerne?

Je l'entendais rire d'ici, hihihi. Ah non, c'est vrai, elle a le cancer de la gorge: rrrhah, rrrhah...

La Porsche? Je suis moins sûr. Je viens de lire ceci dans «les moins» de notre chroniqueur: les porte-gobelets sont ridicules.

Tss, tss, je sais ce que vous allez dire. Retenez-vous.