Je suis arrivé à Stowe vers midi, je venais d'Underhill Flat, où j'ai couché dans un B & B pas trop falbala.

J'étais parti la veille après un coup de gueule avec ma fiancée. Une histoire de haricots : elle trouve que j'en plante trop dans le jardin. En fait, c'est elle qui les plante, mais c'est moi qui lui dis : plante donc des flageolets, plante donc des Soissons, plante donc des cocos de Chine.

Lâche-moi avec tes haricots, elle a dit.

Fuck, je peux jamais rien dire quand il est question de ce putain de jardin. J'ai juste le droit de le bêcher. Si c'est comme ça, je m'en vas !

J'ai mis un pantalon et une chemise dans ma sacoche de selle. J'ai pris le plus petit livre de ma bibliothèque, La gastrite de Platon, de Tabucchi, et je suis parti.

J'ai passé la frontière à Morses Line. Vous vous rappelez, je vous ai parlé l'autre jour de ce paysan qui refusait de vendre une partie de sa terre aux douanes américaines. Il avait planté dans sa prairie une pancarte qui disait: Save this farm. Eh bien! Il a changé sa pancarte. Elle dit maintenant : Save our border. La rumeur dit qu'ils vont bientôt fermer Morses Line.

Franklin, Sheldon, Fairfield, Cambridge... Cent kilomètres sans une seule laideur, sans une seule merdouille récréotouristique. Que des vaches et des collines. Ce pourrait être l'Irlande du côté de Galway, mais l'Irlande n'est pas aussi verte.

J'ai appelé ma fiancée, elle m'a demandé où j'étais.

J'te le dis pas !

À vous, je peux bien le dire : j'étais à Underhill Flat, où il y a un parc plus grand que le village, un parc comme on en trouve dans des villes de 2 millions d'habitants, sauf qu'à Underhill Flat, ils sont 147 habitants. Peuvent être tous dans le parc en même temps sans se rencontrer.

J'ai lu sur un banc, je n'avais pas de crayon pour souligner des trucs comme je le fais quand je lis, alors pour ne pas l'oublier j'ai appris par coeur cette phrase que je me suis répétée toute la soirée : Quand la maison brûle, souvent l'intellectuel ne se rappelle plus le numéro des pompiers.

Au resto The Old Yankee, la plus gentille serveuse du monde ne m'a pas servi les meilleures penne all'amatriciana du monde; plus tard, je me suis endormi devant le match que les Celtics devaient gagner, je l'ai su le lendemain au petit-déjeuner par un couple de gais venus assister au mariage d'une nièce à Burlington.

J'ai repris la route sous un ciel gris et, forcément, ça ressemblait encore plus à l'Irlande. Je suis arrivé à Stowe vers midi. Je l'ai déjà dit, mais c'est ce genre de chronique avec des phrases qui reviennent exprès pour créer une atmosphère, mais des fois ça marche pas.

Stowe est une bruyante insulte au Vermont, Stowe mériterait d'être déménagée tout entière dans la banlieue de Saint-Sauveur, tout entière sauf sa piste cyclable, une merveille d'une dizaine de kilomètres qui part derrière l'église pour se rendre, par le sous-bois, jusque là où commence véritablement la montagne.

Le ciel était très bas et, comme la montagne est assez haute, pas besoin de madame Météo pour me dire qu'il pleuvait en haut du mont Mansfield. J'ai monté à pied les derniers lacets, trop à pic pour mon grand âge et mon gros cul. Il pleuvait, en effet. Et le froid. Et le vent. Et merde. J'ai appelé ma fiancée : Viens me chercher.

J'ai grelotté tout le long de la descente vers Jeffersonville, où je me suis réfugié dans le pub du Smugglers Notch Inn. Sur l'écran géant, c'était Italie-Paraguay. Ma fiancée est arrivée. J'ai mis le vélo dans l'auto. On est partis.

Pis, ces flageolets, les as-tu plantés?

LE MONDIAL - Peuvent bien appeler ça des vuvuzelas. Quelle horreur. Fermer le son ? Si je ferme le son, je ferme aussi la trappe des commentateurs et analystes de Radio-Canada, qui sont excellents - Guillaume Dumas en particulier.

Quand il a été question d'interdire ce bourdonnement d'abeilles, les Sud-Africains se sont scandalisés : c'est notre signature.

Zzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzzz, une signature?

LE MONDIAL, BIS - La seule fois où je me suis intéressée au soccer, m'écrit Geneviève B., c'était en 1998. J'avais 19 ans, je faisais un stage en France et j'habitais dans une famille française. Sylvain me donnait un baiser chaque fois que la France marquait un point. Je prenais pour la France...

Cette année, madame, pour les baisers, vous devriez vous trouver un Allemand.

MAXiiiiiME - Il est grand, maintenant, Maxime. Il a 25 ans, il est marié, il vit toujours au Japon, où il travaille dans la fonction publique...

Juste vous annoncer, me dit-il dans son dernier courriel, juste vous annoncer avant même de l'annoncer à mes parents, une assez grande nouvelle, je trouve : je viens de me commander par internet une toilette chauffante qui fait aussi bidet. C'est pas donné mais, comme je vous disais l'autre jour, je gagne assez bien ma vie.

Je ne lis pas grand-chose depuis au moins un an. Là, je suis dans Dreams From My Father, d'Obama, et la nuit dernière j'ai rêvé que je jouais au PlayStation avec lui. À un moment donné, il m'a demandé si j'avais de la limonade. J'en ai toujours au frigo, mais ses gardes du corps n'ont jamais voulu qu'il y goûte.

Je vais me commander le livre de Laurie Moore (1) que vous m'avez dit de lire parce qu'elle écrit un peu comme moi.

(1) Il s'agit plutôt de Lorrie Moore - mais c'est moi qui l'ai induit en erreur : La passerelle, aux Éditions de l'Olivier (Le Seuil). Je vous ai quelques fois parlé de deux autres livres de cette Américaine qui écrit en faisant des bubulles comme le champagne : Anagrammes et un recueil de nouvelles, Des histoires pour rien, les deux en poche chez Rivages.