Je commence la journée dans le bois : scie, fend, corde, barouette, alouette. L'après-midi, j'enfourche mon vélo, monte et descend mes collines. Je m'étais dit un petit 50 - j'en ferai finalement bien plus, pour rentrer au déclin du jour. Fatigué ? Pas trop. J'irai même faire quelques ballons avant le souper pour entrer dans l'esprit du March Madness, je passerai la soirée à regarder North Iowa qui plantait incroyablement Kansas ce soir-là. Tout de même, vers 22h, je me souviens tout à coup que je suis encore un peu journaliste et je zappe le basket pour les manchettes du Téléjournal.

Et là! Là! La fatigue tout à coup.

Pas la bonne fatigue qui alanguit et porte au sommeil, mais cette espèce d'accablement, d'asthénie que me causent presque chaque fois les grands titres de l'actualité. Cette immense fatigue de l'actualité. Ce n'est pas qu'elle se répète qui me lasse mais cette impression de libre-service où les politiciens viennent remplir leur assiette et les journalistes chercher une chronique. Je suis du troupeau, évidemment.

La fatigue des accommodements raisonnables, tiens. La fatigue d'avoir à répéter encore une fois qu'un par un - UN PAR UN - ces accommodements sont presque tous raisonnables. C'est leur somme qui l'est peut-être moins. Comment cela ? me direz-vous. Comment deux accommodements, chacun parfaitement raisonnable, le deviendraient-ils moins par leur addition ? Par la direction qu'ils nous montrent. On s'en va par là, braves gens : vers un droit à la différence qui s'accompagne de plus en plus de droits différents selon la minorité à laquelle vous appartenez (1).

Le projet de loi 94 déposé récemment par Mme Weil sur les accommodements raisonnables, en permettant aux fonctionnaires le port de signes religieux visibles comme le hijab, le turban, la kippa, nous montre la direction d'une laïcité ouverte, ouverte comme dans «bar ouvert», comme dans libre-service, justement. Une laïcité selon les besoins de chacun. Je veux bien, mais qu'on le dise une fois pour toutes. Qu'on l'assume sans nous distraire avec des bêtises comme l'exception du voile intégral.

Qu'on en finisse avec les accommodements aux écoles juives. Je veux dire : qu'on les accommode ou non, mais qu'on ne déguise pas la chose en changements au calendrier scolaires à des «fins pédagogiques». Je suis surtout fatigué de cela : qu'on me prenne pour un con.

Même si j'en suis un. Vous souvenez-vous, juste avant de partir pour Vancouver, je me roulais à terre devant un rapport de l'Alliance des professeurs de Montréal et de la CSDM qui recommandait une réforme de la réforme qui m'apparaissait majeure : elle demandait que l'on évalue les connaissances plutôt que les compétences transversales. «La ministre de l'Éducation a reçu le rapport avec un enthousiasme qui semble sincère», écrivais-je. Quel con ! Je tiens de bonne source que j'ai fait rire tout le ministère de l'Éducation. Les hauts fonctionnaires qui mènent la ministre par le bout du nez lui ont expliqué qu'il n'y avait vraiment aucun problème à évaluer les connaissances - ce qui se fait déjà -, cela n'empêchait en rien la pédagogie transversale, qui constitue le fond de la réforme, de se poursuivre dans son intégrale conformité.

Fatigue de la réforme ? Même pas. Fatigue encore ici de la duplicité. Cette impression d'être une oie que l'on gave même pas pour son foie, pour sa merde. Allez, mon ami, chie ta copie. Que dirais-tu d'un titre comme : «Exit les compétences, place aux connaissances»? Ha ha. Ils en rient encore, les sacraments.

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Et d'autres fatigues. Pas toutes télévisuelles. Tiens, l'autre jour, en lisant mon collègue Patrick Lagacé, une grande lassitude, soudain. On s'aime bien, pourtant. Je lui prête de prendre parfois mon parti - en tout cas, moi, je prends régulièrement le sien. Encore récemment, j'ai défendu une sienne chronique sur Haïti qui a fait grand bruit. Je ne défendrai certainement pas celle dont je vais parler maintenant. Ni ne l'attaquerai d'ailleurs. Je veux juste relever un truc qui me fatigue.

Dans cette chronique (Tant qu'ils ont du poil) parue vendredi, Patrick s'indigne de ce que le metteur en scène André Brassard avoue dans sa biographie avoir déjà eu pour chum un garçon de 14 ans. En fait, ce que mon collègue trouve consternant, c'est le silence qui a entouré cet aveu, il se demande pourquoi Brassard semble bénéficier d'une «passe gratuite» de la colonie artistique.

Tout simplement parce que le milieu artistique ne s'indigne pas de la chose comme toi, Patrick. Pas seulement le milieu artistique. Le milieu gai non plus. Et moi non plus, qui ne suis pas gai. C'est pas de nos affaires. On ne ferme pas du tout les yeux, on les a bien ouverts, sauf que cela ne nous regarde pas. Tu serais surpris comme cette histoire ne fait pas un pli à des millions de gens, ici et ailleurs. Des millions de gens pour lesquels ce crime n'en est pas un. Il y a toutefois une différence entre ici et ailleurs mais je ne te la dirai pas, j'en ai dit assez aujourd'hui pour me faire abondamment insulter, je te ferai suivre les courriels si cela peut te rassurer sur la morale ambiante.

Tu me permets une petite vacherie pour finir ? Quand j'ai eu fini de te lire, j'ai eu une mauvaise pensée. Je me suis dit : ah ben, le p'tit crisse, y nous avait pas dit que sa grand-mère était chroniqueuse au Devoir.

(1) L'expression est empruntée ou presque à Yolande Geadah, auteure d'Accommodements raisonnables, VLB (2007).