Qu'est-ce que tu veux de plus? m'a demandé ma fiancée.

Quelque chose qui me nourrisse, bébé, quelque chose que je n'aime pas forcément, même quelque chose d'insupportable comme Crash - celui de David Cronenberg -, quelque chose qui vient me chercher, qui va vivre un moment dans mes tripes, quelque chose d'envahissant.

Je suis tanné des bonnes petites histoires bien racontées, Slumdog Millionaire, Million Dollar Baby, Schindler's List, Forrest Gump, Titanic, Rain Man, ces bonnes petites histoires - toutes oscarisées - qui sont devenues la mesure de... j'allais dire de l'art, mais c'est tout le contraire, la mesure du consensus, de la satiété, du regardable, du supportable, de la digestion, du ronronnement, de l'agrément, de l'attendu, du recevable, du samedi soir quand t'as fini la grille des mordus.

 

As-tu loué un film, chérie?

Ouais, j'ai loué Le démineur (The Hurt Locker).

À Cowansville? (Les films qu'elle loue à Cowansville sont un peu moins mauvais.)

Non, je l'ai loué au dépanneur à Bedford...

Quand un film commence par ces mots-là: dépanneur et Bedford, c'est bien rare que je le finisse. J'ai pourtant fini Le démineur, qui devait gagner l'Oscar du meilleur film le lendemain. Je ne me suis pas ennuyé. À peine. C'est bien fait. Bien joué. Un film de guerre comme j'en ai vu 43 236, mais attention... réalisé par une femme. Nous l'ont-ils assez répété: réalisé par une femme.

Pis? Ce n'est pas un film de guerre, c'est un film d'explosifs. Quand une femme refera Apocalypse Now, on pourra parler d'une femme qui a fait un film de guerre.

Le démineur est l'histoire d'un type, par ailleurs sympathique, pas trop macho, qui s'emmerde gentiment dans la vie sans le danger et les montées d'adrénaline que lui apporte sa spécialité: le désamorçage des bombes.

Je ne regrette pas de l'avoir regardé jusqu'à la fin parce qu'il y a une scène formidable dans ce film, une seule, qui dure moins de 20 secondes, et elle est vers la fin. Le héros est en permission chez lui. Il va faire des courses avec sa femme et son bébé dans un immense supermarché et, à un moment donné, il se retrouve seul dans l'allée des céréales qui doit bien faire un demi-kilomètre de long. La caméra aligne (un travelling?) les boîtes de céréales sur leurs étagères et, pendant 20 secondes - c'est voulu, bien sûr -, tu as très envie, toi aussi, d'aller désamorcer des trucs pour échapper aux céréales, aux courses du samedi, à la bonne femme, au petit, à la grille des mordus, au dîner chez belle-maman le lendemain et au lundi qui recommence le surlendemain.

Pour dire vrai, cette enfilade de boîtes de céréales ne m'a pas donné envie d'aller déminer quoi que ce soit, ni de faire du bungee, ni de descendre le Grand Canyon en chaloupe. Par un effet de mon esprit pervers, j'ai substitué aux boîtes de céréales des boîtes de DVD, Slumdog Millionaire, Million Dollar Baby, Schindler's List, Forrest Gump, Titanic, Rain Man, Le démineur.

 

LE SECOND DEGRÉ - Je suis finalement plutôt content que l'Oscar soit allé au Démineur. Plutôt qu'à Avatar, que je n'ai pas besoin de voir pour savoir que c'est une pure niaiserie technologique. Ou pire, plutôt qu'à Inglourious Basterds que j'ai détesté.

Problème numéro un, mon problème: les gens dont je suis habituellement proche culturellement ont a-do-ré Inglourious Basterds. À l'inverse, les gens avec lesquels je ne partage rien ont détesté. C'est très embêtant. Plus troublant encore, ces gens avec lesquels j'aimerais ne rien partager ont détesté Inglourious Basterds pour les mêmes raisons que moi: l'invraisemblance, le mélange des genres, l'humour cartoonesque de la chose.

Problème numéro deux, votre problème: ce fameux deuxième degré qui ferait d'Inglourious Basterds un monument de l'autodérision, ce fameux second degré auquel je n'ai, de toute évidence, pas accès. Je crois savoir pourquoi. Je l'ai même dessiné. Reportez-vous au graphique ci-dessous. La ligne du milieu, la ligne pleine de mon graphique marquée MDO, pour «moyenne des ours», est la ligne des oeuvres consensuelles et digestives. Si j'ai bien compris, votre fameux second degré se trouve un tout petit peu au-dessus (la ligne pointillée); un second degré presque couché sur le premier, par commodité, pour ne pas troubler le consensus des ours qui s'y trompera, je veux dire pour qui cela ne change rien qu'il y ait un second degré ou pas, il s'en tient toujours au premier. Il n'y a que la critique pour se délecter de ce minuscule promontoire qui lui permet de s'élever au-dessus des ours.

Il vous surprendra que je situe mon deuxième degré sous la ligne médiane (l'autre ligne pointillée), parce que dans mon esprit, s'il est un deuxième degré, disons une seconde lecture, elle ne peut être que souterraine. Elle n'éclaire pas l'oeuvre. Elle en est l'ombre. Bref, on ne parle pas de la même chose. Sous Inglourious Basterds, il n'y a rien. Au-dessus je ne sais pas, je ne suis pas allé voir.