Je suis parti de Saint-Armand, où c'était une journée d'hiver normale, -10ºC, -12ºC, je suis arrivé à Vancouver vers 9 h du soir, j'ai pris le métro pour aller au centre-ville, et dans le métro, y'avait un type en bermuda. Je me suis dit: c'est sûrement un sans-abri, regarde bien ça, il va me demander des sous. Pas du tout. À la station suivante, une Chinoise est montée avec son vélo, elle aussi en bermuda. Ça ne lui allait pas, d'ailleurs, trop maigre, ses jambes flottaient dans les jambières, une robe lui aurait mieux fait, mais les filles ne savent plus aller à vélo en robe, il faut tenir le guidon d'une main et poser l'autre sur la cuisse pour tenir la robe.

Le lendemain, le samedi, j'ai dû marcher 40 km, dans toute la ville, il faisait 12, plus 12! Au JJ Bean - une chaîne de petits cafés à la mode -, j'étais assis avec la jeune femme qui m'avait donné rendez-vous là, on parlait de je ne sais quoi... Ah si, je sais, on parlait de piles à combustible et d'hydrogène. Elle est sociologue au Conseil national de recherche du Canada, à UBC, je ne comprenais rien à ce qu'elle me racontait quand elle s'est arrêtée de parler pour me montrer quelque chose à travers la fenêtre: regardez, le cerisier est en fleurs.

 

Ben ça parle au bon Dieu! C'était tout à fait vrai. De toutes petites fleurs d'un rose tendre.

Après, avec la jeune dame, on est allés marcher alentour, dans ce quartier qui s'appelle Mount Pleasant, où elle habite avec son mari médecin. C'est un peu le Vieux-Rosemont, si vous voulez, avec plus d'arbres. C'était sur la 10e Avenue, où les maisons sont bordées de bosquets de rhododendrons - non, quand même pas, ils n'étaient pas en fleurs, mais vous ne le croirez pas, les bourgeons sont presque prêts à éclater, les petits crisses.

On peut faire tous les portraits qu'on voudra de Vancouver, on peut dire qu'on déteste, que c'est une ville arrogante, que c'est une ville neuve et sans âme, il y a les faits, et les faits sont ceux-ci, incontournables: on est le 8 février et les rhododendrons bourgeonnent. On est le 8 février et quelques cerisiers ont déjà des petites fleurs rose tendre. Ce sont là des faits. On ne peut pas aller contre ça.

Un autre fait pour compléter mon portrait de Vancouver. Sur la 13e Avenue, près de la rue Manitoba, une pancarte «À vendre» plantée dans le gazon d'un joli cottage, le même quartier que les rhododendrons. Le cottage n'est pas à vendre, juste le demi-sous-sol: 599 000$.

Voilà, maintenant vous savez tout ce qu'il importe de savoir sur Vancouver. J'ajouterai tout de même que le ciel était bleu, ce qui est exceptionnel, qu'il y avait des vélos partout et que si j'avais eu le mien, je serais assurément monté au mont Cypress - du centre de Vancouver, les bons cyclistes font ça en deux heures.

C'est au mont Cypress que se tiendront, paraît-il, les épreuves de ski acrobatique. Samedi, premier jour des Jeux, finale des bosses: la Montréalaise d'adoption Jennifer Heil est la grande favorite de l'épreuve. Ce sera assurément la première médaille canadienne de ces Jeux, peut-être même la médaille d'or, et ce serait alors la première médaille d'or canadienne jamais gagnée à des Jeux olympiques tenus au Canada. À Montréal en 1976 et à Calgary en 1988, zéro médaille d'or, bref, vous savez comment on est con dans ce pays avec les médailles, 35 millions de Canadiens attendent Jennifer Heil samedi après-midi.

Ça marchera pas, y'a pas de neige! Du centre de presse principal situé au bord du petit bras de mer qui sépare Vancouver de Vancouver Nord - Burrard Inlet -, on a le mont Cypress dans la face, et rien qu'à voir, on voit bien qu'il est vert, à peine saupoudré de blanc au sommet. Je ne sais vraiment pas comment ils vont faire. Ils apportent la neige en camion par petits mottons qu'ils étendent sur une base de foin. Imaginez le coût. Imaginez le nombre de camions dans la montagne, savez comment ahane péniblement un camion en montagne, la fumée que ça crache. Des Jeux verts, y disent, verts parce qu'ils vont se dérouler sur l'herbe. Anyway, les skieurs acrobatiques s'entraînent pour l'instant à Whistler.

Mais je ne vous ai pas vraiment raconté mon arrivée à Vancouver. C'est pareil dans toutes les villes olympiques, les journalistes entrent dans la bulle olympique aussitôt descendus de l'avion. Y'avait une dame avec une pancarte: famille olympique. Bonjour madame. Hon! elle met la main devant sa bouche, je ne parle pas français, s'excuse-t-elle. Non, attendez, elle ne s'excuse pas, elle est accablée, elle se tord les mains, sorry, sorry. Elle me dit où aller pour finaliser mon accréditation, et là, il y a quatre messieurs. Pas un qui parle français. Se confondent en excuses, sorry, sorry. Se roulent à terre.

Le lendemain aux comptoirs d'accueil du centre de presse principal, personne non plus pour parler français. Personne enfin à la technique (pour les connexions internet). Et chaque fois en sont tellement désolés qu'ils font pitié. C'est bien simple, je n'ose plus dire bonjour en français, je me dis qu'il y en a un qui va finir par se suicider et ce sera de ma faute.

Sérieusement, braves gens: j'en ai rien à foutre que vous ne parliez pas français. Pensez-vous que j'ai attendu les Jeux de Vancouver pour savoir que ce n'est pas vrai que le français est une des langues officielles du mouvement olympique? Ça n'a pas été vrai à Athènes, ni à Turin, ni à Pékin, ce ne le sera pas non plus à Vancouver. Sauf qu'ici, on va ajouter le ridicule à l'insulte à cause des prétentions de ce pays au bilinguisme. Anyway, je ne vous en reparlerai plus, je vous laisse avec mon ami Réjean Tremblay, il connaît ça mieux que moi.

Anyway, deux jours plus tard, j'ai fini par tomber sur Ghislain, très gentil, il avait ce petit insigne sur sa chemise qui identifie les francos: Bonjour. Je peux vous aider? s'est-il empressé. Very, very sorry, sir, I don't speak French.

J'espère que je n'ai pas trop l'air de me plaindre. La montagne, la mer, le grand parc machin où je ne suis pas allé, et une pluie de cadeaux. À tous les Jeux, on reçoit des cadeaux. Je sais que cela vous rend jaloux comme des hiboux. Alors voici, pour vous faire baver d'envie, on a reçu cette fois, je jure que je n'invente rien: un stylo; une barre de chocolat; trois paquets de gomme à mâcher; une bébelle que je sais même pas c'est quoi; un compte-pas, comme son nom l'indique, c'est un petit appareil qui a été inventé pour compter les pas qu'on fait, sauf que personne dans la vie ne compte ses pas, savent plus quoi faire avec ce truc-là, c'est pour ça qu'ils nous le donnent, c'est mon troisième; je continue: des pilules Cold-FX contre la grippe; un tapis pour la souris de l'ordi (personne n'a de souris); un carnet de notes McDonald's. Je vous ai dit un stylo?

Allez, je vous laisse. Et n'allez pas croire qu'on va rire comme ça toutes les fois. À m'ment donné, va bien falloir parler de skeleton et de bobsleigh.