Sont-ils assez ridicules, ces Européens Des naïfs qui ne voient du phoque que le ballon qui tourne sur son nez. Des moumounes. Des Bambi. Et la meilleure: sont-ils assez bêtes, non mais sont-ils assez bêtes de s'être laissé berner par une campagne d'images?

Qui dit cela? Vous. Vous qui - comme le reste de la planète - vivez dans et par l'image. Le système économique repose sur l'efficacité des images, sur leur capacité de vous fourrer une fois de plus pour vous faire acheter une merde de plus et faire tourner la roue du capitalisme, qui est lui-même une image avant d'être un système économique. Comment croyez-vous qu'il survit à ses échecs en ce moment même? Par l'image. Oui, bon, c'est pas un système parfait, mais c'est quand même le meilleur système: cette image-là.

Je suis loin de la banquise? C'était pour vous dire comme vous êtes effrontés de voir l'image dans l'oeil du voisin.

Question de Jacques Beauchamp (qui remplace Maisonneuve) au vice-président de chez Cossette: Ici, le message a passé, les Canadiens, les Québécois appuient les chasseurs de phoque. Pourquoi en Europe...?

Exactement ce que je viens de vous dire. Cossette, c'est une maison de pub et de relations publiques qui fabrique des images pour fourrer le monde. Et c'est son vice-président qui vient nous dire oh! la la, comme elle est laide, démagogique et honteuse, la campagne d'images qui a amené le Parlement européen à interdire l'importation des produits de la chasse au phoque. C'est ce que ce monsieur fait dans la vie: des campagnes d'images. On aurait compris qu'il salue ses pairs, mais non. Il leur fait la morale.

Remarquez aussi le glissement sémiologique qui se produit quand on passe des Européens victimes de propagande aux chasseurs de phoque, qui, eux ont essayé de passer un message. Le documentaire plein de trous pro-abattage, l'intensive campagne de presse, la mobilisation politique, le racolage scientifique, ce n'est pas de la propagande, c'est un message.

Extrait d'une entrevue donnée par la sénatrice libérale Céline Hervieux-Payette au même Jacques Beauchamp - ici, un aparté pour m'étonner de ce que les journalistes les plus pertinents, les plus nuancés, les plus allumés, et Jacques Beauchamp en est un assurément, se mettent soudain à marcher à côté de leurs souliers dès qu'il est question du phoque, fin de l'aparté - cet extrait, donc...

La sénatrice: L'abattage ne sera jamais une opération qui va être agréable, pas plus que le chasseur qui va tuer un chevreuil... Mais il faut reconnaître notre nature humaine, et on est des carnivores.

Plus loin, après avoir reproché aux lobbies américains qu'elle prétend végétariens de torpiller le marché des produits de la chasse aux phoques, ceci: Les végétariens des lobbies américains mettent sur un pied d'égalité les animaux et les hommes. N'empêche que les animaux mangent d'autres animaux, alors les végétariens devraient accepter que nous aussi, on mange des animaux...

Je serai charitable, je ne dirai rien de la formulation. Même, je félicite Mme la sénatrice de parler d'abattage. Je la félicite moins de comparer aussitôt cet abattage à la chasse. Si vous voulez comparer, madame la sénatrice, ne pensez pas à des chevreuils en liberté, pensez à un élevage de chevreuils à ce moment-ci de l'année alors que les femelles allaitent leurs faons. Une bande de morons entrent dans l'enclos avec des bâtons de baseball et abattent les faons à grand coups de batte sur la tête.

Je refélicite Mme la sénatrice de pointer les lobbies américains. Ce sont eux, effectivement, et pas les Européens, qui ont phoqué la chasse au phoque, Dieu les bénisse. Je suis déjà allé sur la banquise avec un de ces lobbys et il n'a jamais été question de végétarisme. Ces gens-là ne disaient pas non plus que les phoques étaient menacés de disparition. Ils s'élevaient seulement contre la sauvagerie de cet abattage.

Tout est là. La sauvagerie.

Pour ce qui est «des animaux qui mangent des animaux ce qui nous autorise à manger nous-mêmes des animaux parce que c'est dans notre nature humaine d'être des carnivores», ouf! Suggérez-vous, madame la sénatrice, que manger du phoque c'est comme manger du veau, du lapin ou du poulet?

Avez-vous servi récemment un rôti de phoque à vos invités? Je ne referai pas cette discussion: c'est juste pas bon, du phoque, madame. C'est quelqu'un qui en a mangé et qui a goûté à bien d'autres bibites pas très bonnes non plus, comme de l'ours, du raton, du castor, qui vous le dit: c'est pas bon, vraiment. On n'en trouvera jamais au comptoir des viandes de chez Metro. Jamais. Oubliez ça.

On abat les poulets, les boeufs et les cochons dans les abattoirs - pas toujours proprement, je le déplore, croyez-moi - pour les manger. Tout est bon dans le cochon. Tout est dégueulasse et huileux dans le phoque. Alors, l'abattre pourquoi?

Pour la peau, qui ne vaut plus rien?

Pour le pénis, qui, séché et réduit en poudre, excitera des Chinois qui obtiendraient de bien meilleurs résultats avec du Viagra?

Pour un marché d'une dizaine de millions subventionné par le fédéral à hauteur de 60 millions par année? Frais de la garde côtière, brise-glaces, hélicoptères, avions de reconnaissance mobilisés expressément durant les semaines que dure la chasse. L'Amundsen, qui ouvre la route aux chasseurs vers la banquise, coûte 50 000$ par jour en frais d'exploitation. Et ça, c'est quand personne ne se noie comme l'an dernier.

Il y a pourtant une bonne raison d'abattre les phoques. Je vous la laisse deviner. Mais non, pas les stocks de morue. Ça non plus, ce n'est pas vrai. Une bonne raison, je vous dis.

Vous ne voyez pas? C'est pourtant criant: l'unité canadienne.

Le phoque unit les Canadiens plus que la feuille d'érable, plus que les Rocheuses, plus qu'une série mondiale contre les Russes au hockey. Nommez-moi le sujet, le seul, sur lequel M. Harper, les libéraux et M. Gilles Duceppe disent exactement les mêmes conneries avec exactement les mêmes trémolos patriotiques dans la voix: le phoque.

Une fois par année au moins, le phoque sonne la charge pour 30 millions de Canadiens: tara-tata. Mieux: tara-TATA. J'apprends à l'instant que le Bloc, qui a déjà eu la géniale idée de proposer d'habiller les athlètes olympiques canadiens en phoque, va maintenant proposer de remplacer la feuille d'érable sur le drapeau canadien par un gourdin.