C' est une lettre que j'ai reçue il y a deux mois alors que l'on débattait dans les médias du test de dépistage prénatal de la trisomie-21. Une lettre - un courriel que j'ai imprimé - que j'ai reprise en mains je ne sais combien de fois en triant mes papiers, qu'est-ce que c'est? Ah oui, oui, le courriel de la dame avec un enfant handicapé. Chaque fois je le relisais en entier. Je l'ai même foutu au panier, pour l'en retirer aussitôt un peu honteux de mon geste. Je viens de le relire encore une fois, je viens d'allumer pourquoi je n'arrive pas à m'en débarrasser: parce que c'est un texte «qui fait du bien».

Vous y trouverez l'amour, le devoir, le courage, bref les grandes valeurs que l'on nomme le bien. Sauf que le bien ne fait pas toujours du bien, même que des fois, chut ne le répétez pas, des fois et même souvent, le bien me fait carrément chier.

 

Alors? C'est quand que le bien fait du bien?

Vous, je ne sais pas. Moi c'est quand il s'accompagne de lucidité.

(Note: la signataire n'a pas demandé l'anonymat, je prends sur moi de le lui accorder à moitié, à noter encore que la version originale est sensiblement plus longue)

Je suis la maman d'un enfant handicapé. Dystrophie musculaire Duchenne. Je me suis sentie interpellée par les articles parus dans les journaux dernièrement concernant le test de dépistage prénatal pour la trisomie-21. Il en existe un aussi pour la dystrophie musculaire Duchenne.

Au risque de passer pour une mère dénaturée, je suis pour. Voilà, c'est dit: JE SUIS POUR!

Mon fils a 19 ans. J'en ai 45. Je l'aime comme une folle et il me le rend bien. C'est une maladie dégénérative. Les muscles foutent le camp progressivement, mais la tête est toujours là... Nous avons des discussions à n'en plus finir sur la maladie, la mort, après la mort.

Quand il est né, on le pensait «normal». À 4 ans, il a de la difficulté à monter les escaliers; on consulte, sombre pronostic: à 6 ans il ne marchera plus, à 10 ans opération avec tiges dans la colonne vertébrale, à 14 ans respirateur et vers 18 ans, la mort.

Quand il a eu 6 ans, la découverte d'un nouveau médicament a ralenti la maladie et augmenté sa qualité de vie. Résultat, aujourd'hui à 19 ans il est en fauteuil électrique; il n'a plus de force dans les jambes, ni dans les bras, problèmes cardiaques et respiratoires, mais pas encore besoin de respirateur. Il habite encore chez nous. Le matin, je l'habille, je le rase, je l'assois sur aux toilettes et je l'essuie lorsqu'il a terminé. Il part pour l'école en transport adapté et je lui souhaite une bonne journée.

Malgré tout, j'ai une belle vie, en couple avec son père (qui n'a pas foutu le camp) depuis bientôt 25 ans et nous ne manquons de rien.

L'an passé, pourtant, j'ai capoté. Je me suis sentie un monstre. Quand il avait 4 ans, j'ai décidé que j'allais tout lui donner, que j'allais lui consacrer ma vie jusqu'à la fin de la sienne. J'ai capoté parce qu'avec ces nouveaux médicaments, plus aucun pronostic ne tient; on ne sait pas quand il va mourir, je n'étais plus aussi certaine d'être capable de lui consacrer le reste de ma vie.

Pour en revenir au test de dépistage... quand il avait 10 ans, au cours d'une de mes visites au centre de réadaptation et d'une discussion avec la psychologue, elle m'a demandé si j'avais envisagé d'avoir un autre enfant... J'ai dit non. Pas d'autre enfant. Je ne voulais prendre AUCUNE chance. Le test, je sais bien, mais supposons, je suis enceinte, je passe le test et il est positif. J'avorte. Quel message cela eût envoyé à mon fils? Que si j'avais su pour lui, je l'aurais tué aussi?

Récemment, j'ai eu précisément cette conversation avec mon fils. Il m'a dit qu'il ne comprenait pas vraiment mon problème, il ne trouve pas très intelligent de mettre consciemment au monde un enfant handicapé, il trouve même ça carrément «méchant» pour l'enfant. Pourtant, il ne souhaite pas mourir. C'est juste que ce n'est pas la vie qu'il aurait choisie.

Pour revenir au test de dépistage... Quand tu as un enfant handicapé, tu fais avec et tu tires le meilleur parti de la situation. C'est vrai, tu vis des trucs épatants, et différents, et qui te font grandir; pourtant, je ne connais pas un parent qui échangerait son bébé en santé pour un enfant malade et handicapé pour avoir la «chance» de vivre ces moments épatants.

Alors pour revenir au test, on peut-tu foutre la paix à celles qui souhaitent le passer? J.Q.

IL EST RETOURNÉ AVEC LES SIENS Dans un tout autre registre, cette lettre de Sophie, fille de dehors, de vélo, de vélo de montagne, de ski, fille de Mont-Tremblant si fâchée de ce que les développeurs aient bétonné sa montagne qu'elle s'est enfuie au Yukon il y a quelques années.

Bonjour monsieur, je viens d'essayer de coucher ma petite tornade pour sa sieste, elle veut rien savoir, attends menute maman, elle court à la fenêtre, l'ouvre, appelle le chien: Nanook! Elle veut lui donner un bout de sa toast, Nanook!

Il est parti Nanook, chérie.

Parti?

Nanook était le père des sept chiens de notre attelage. Nanook ne filait pas depuis le début de la saison. Quand on lui montrait son harnais, c'est comme si on lui montrait du brocoli. Mais il était toujours aussi colleux et protecteur avec la petite, un gros malamute de 120 livres. Il est mort samedi dernier.

Il nous a suivis vendredi, une vingtaine de kilomètres au moins, il courait, libre, avec moi. Il a pissé du sang, mais samedi matin il avait l'air top shape. Quand les attelages sont repartis, il a eu une courte altercation avec deux chiens, en est sorti en boitant, s'est soudainement couché. Il est mort aussitôt. J'ai crié. On était tous autour. Je braillais comme un bébé. On l'a enseveli là, dans la neige, sur le côté de la piste. Le lendemain quand on est repassés, il avait été déplacé, on voyait ses pattes: les loups l'avaient déjà trouvé, il était retourné avec les siens. Je vous mets une photo même si vous n'en avez rien à cirer. Sophie.